Personnage sombre des traditions de la Saint-Nicolas, le « père Fouettard » naît du folklore européen plus que d’un individu historique avéré. Sa figure accompagne le saint bienfaiteur : Nicolas récompense les enfants sages, Fouettard punit les désobéissants. Mais d’où vient ce « croquemitaine » ? Entre légendes lorraines, variantes alsaciennes et cousins alpins, son histoire raconte aussi l’évolution de nos normes éducatives et des imaginaires populaires, au croisement de la société et du politique.
Plan de l'article
Un compagnon de Saint-Nicolas, pas un personnage « réel »
Dans la tradition du 6 décembre, Fouettard accompagne Saint-Nicolas pour distribuer réprimandes ou morceaux de charbon aux « vilains ». Les folkloristes rappellent qu’il s’agit d’un type culturel, comparable aux autres « compagnons » de Saint-Nicolas présents en Europe (Krampus, Knecht Ruprecht, Zwarte Piet), et non d’un personnage historique identifié (synthèse encyclopédique).
Deux grands récits d’origine
- La légende du boucher repenti : un aubergiste (ou boucher) assassine trois enfants pour les voler ; Saint-Nicolas les ressuscite et contraint le meurtrier à devenir son serviteur – d’où le « père Fouettard ». Ce récit moralise la fête en opposant charité et cruauté (Atlas Obscura ; notice détaillée).
- Le folklore messin de 1552 : lors du siège de Metz, un mannequin grotesque (parfois associé à un tanneur) aurait été promené puis brûlé ; la figure se serait mêlée à la fête de Saint-Nicolas pour donner Fouettard, armé d’un martinet et de chaînes (source).
Variantes régionales : Hans Trapp, Krampus & co.
En Alsace, le personnage se confond souvent avec Hans Trapp, grand épouvantail local censé terroriser les enfants la nuit de la Saint-Nicolas (Office de tourisme d’Alsace ; French Moments). Dans l’arc alpin, c’est Krampus, être cornu muni de verges, qui punit les enfants la veille du 6 décembre (aperçu historique).
Un miroir des normes éducatives et sociales
Qu’il s’appelle Fouettard, Trapp ou Krampus, le « double sombre » de Saint-Nicolas matérialise une pédagogie par la peur : faire intérioriser la règle en racontant la transgression et sa sanction. Si elle choque aujourd’hui, cette logique s’inscrit dans un contexte historique où l’ordre familial et social se voulait très vertical. L’imaginaire collectif évolue, et avec lui la manière de penser l’enfance, l’autorité et le consentement à la règle – sujets que l’on retrouve dans nos analyses des réseaux sociaux et de la formation de l’opinion.
Controverses modernes : le cas de « Zwarte Piet »
Aux Pays-Bas, la figure de Zwarte Piet, autre compagnon de Saint-Nicolas, a suscité de vifs débats en raison de mises en scène associées au blackface. Depuis les années 2010, institutions, villes et écoles ont engagé des transformations (abandon du maquillage noir, « Pieten » aux visages colorés ou « de suie »), sous l’impulsion de mouvements citoyens et d’instances internationales (Time – 2020 ; The New Yorker).
Alors, a-t-il « vraiment existé » ?
Pas au sens biographique : le père Fouettard est une construction folklorique, issue de récits moraux, de rituels urbains (Metz, XVIe siècle) et d’un fonds mythologique européen où le héros bienveillant est flanqué d’un contrepoint menaçant. Ce patrimoine continue de se transformer, au gré des sensibilités contemporaines et des controverses publiques. C’est l’occasion d’interroger ce que nos fêtes disent de nos valeurs, entre mémoire, traditions et débats très actuels.
Pour aller plus loin : notices et synthèses sur Père Fouettard, Krampus ; personnages alsaciens ; analyses sur Zwarte Piet et les débats néerlandais.