Économie

Xavier Niel : le Minitel rose comme tremplin entrepreneurial

Xavier Niel est aujourd’hui connu comme l’un des principaux entrepreneurs français des télécommunications, notamment fondateur de Free et co-propriétaire du journal Le Monde. Son ascension fulgurante dans la tech trouve son origine dans les années 1980, bien avant Internet. C’est à cette époque qu’une invention technologique particulière lui a permis de lancer sa première société et de bâtir les fondations de sa fortune.

Bien avant les smartphones et le Web, la France disposait d’un réseau en ligne minuscule par la taille mais innovant par ses usages : le Minitel. Ce terminal informatique individuel, distribué gratuitement par France Télécom à partir de 1982, a été l’invention qui a ouvert à Xavier Niel les portes de l’entrepreneuriat. Grâce au Minitel et à ses services en ligne, le jeune autodidacte a pu dès l’adolescence créer un service innovant et très rentable, posant la première pierre de l’empire qu’il dirigera plus tard.

Xavier Niel

Le Minitel : une innovation française déterminante

Lancé commercialement en 1982, le Minitel est un petit terminal à écran et clavier connecté au réseau téléphonique. Conçu par les ingénieurs de l’ancien monopole public des télécoms, il permet aux utilisateurs d’accéder à une multitude de services en ligne bien avant l’arrivée d’Internet grand public. Ce dispositif était initialement destiné à remplacer l’annuaire papier : chaque foyer téléphonique équipé pouvait consulter les pages jaunes électroniques sur son écran.

Minitel

Rapidement, les fonctionnalités du Minitel se diversifient. Outre la simple consultation d’annuaires et l’accès à des informations administratives, des services commerciaux apparaissent. Des sociétés privées proposent des jeux, de la bourse, des actualités, du commerce électronique rudimentaire et même des forums de discussion. Le Minitel devient un précurseur du numérique en France, avec des millions d’utilisateurs connectés dès le milieu des années 1980. Pour de jeunes passionnés d’informatique, ce nouveau réseau représente un terreau fertile d’opportunités d’entreprise.

Parmi les services en ligne les plus lucratifs du Minitel, on trouve les fameuses « messageries roses » – des chats érotiques par minitel interposé. En composant un code dédié (généralement en « 3615 » suivi d’un nom de service), l’usager pouvait dialoguer à distance avec des opératrices ou d’autres participants sur des thèmes sentimentaux et sexuels.

Ces messageries, facturées à la minute sur la facture de téléphone, se révèlent extrêmement rentables : chaque minute passée en ligne génère un coût élevé pour l’appelant, dont une partie revient au fournisseur du service. Au fil des années 1980, ce segment très spécial du Minitel attire de plus en plus d’acteurs privés attirés par les profits générés.


Les débuts de Xavier Niel dans le « Minitel rose »

Xavier Niel, adolescent passionné d’informatique originaire de la région parisienne, est l’un de ceux qui saisissent très tôt le potentiel du Minitel. Dès l’âge de 16 ans, alors qu’il est encore lycéen, il commence à élaborer des services en ligne pour le compte de grands groupes de presse.

Profitant de ses mercredis et samedis libres, le jeune programmeur développe des « serveurs » Minitel sur mesure, monnayant déjà ses talents techniques auprès d’entreprises médiatiques désireuses d’être présentes sur ce nouveau média.

Fort de ces premiers pas prometteurs, Xavier Niel passe lui-même à l’action. En 1984, âgé d’environ 17 ans, il crée son premier service de messagerie en ligne érotique sur Minitel. Il s’agit essentiellement de l’une des premières entreprises qu’il lance, bien qu’elle ne prenne pas la forme d’une société classique au départ. Le jeune entrepreneur propose ses services aux éditeurs de contenus et exploite également ses propres messageries roses.

Son concept : mettre en relation des clients avec des hôtesses rémunérées pour tenir le rôle d’interlocutrices suggestives derrière un écran. Très vite, le succès est au rendez-vous.

Installé dans un petit local du 19e arrondissement de Paris, le jeune Xavier Niel voit affluer les appels sur ses lignes Minitel. Les utilisateurs, majoritairement masculins, se prennent au jeu de ces chats érotiques et y consacrent de longues durées, générant pour l’opérateur des revenus considérables.

En quelques années, Niel gagne ainsi plusieurs millions de francs. Il confiera plus tard qu’à 20 ans, il pouvait gagner jusqu’à 100 000 francs par mois grâce aux messageries roses, tout en y consacrant un temps de travail réduit. Ce business model extrêmement profitable repose sur la facturation à la minute et l’engouement d’une clientèle captive : les animatrices étaient encouragées à faire durer les conversations le plus longtemps possible afin d’accroître la facturation de chaque appel.

Encouragé par ces résultats financiers précoces, Niel développe rapidement ses activités. Avant même la fin des années 1980, il s’associe à un investisseur plus aguerri, Fernand Develter, pour multiplier les initiatives dans le secteur très spécialisé du divertissement pour adultes. Ensemble, ils investissent dans une dizaine de sex-shops et peep-shows à Paris (et même jusqu’à Strasbourg) afin de diversifier leurs sources de profit liées à l’industrie du sexe.

Cependant, l’activité principale de Xavier Niel reste la télématique érotique, un domaine dans lequel il est déjà considéré comme un acteur majeur – certains médias n’hésiteront pas à le surnommer le « pape du Minitel rose ».

Voici quelques chiffres marquants sur cette première entreprise de fait de Xavier Niel :

  • 1984 : lancement de son premier service de messagerie Minitel érotique, alors qu’il est âgé de 17 ans.
  • 1987 : à 20 ans, il dégage jusqu’à 100 000 francs de revenus mensuels grâce à ses services Minitel.
  • 1991 : vente de ses premiers services Minitel à un investisseur, lui rapportant environ 1 million de francs et lui assurant une indépendance financière dès l’âge de 24 ans.

De la fortune du Minitel à l’aventure Iliad

Après quelques années fructueuses, Xavier Niel choisit de céder sa florissante activité de messageries roses. En 1991, encore très jeune (24 ans), il vend sa première entreprise Minitel à un tiers. Le montant exact de la transaction reste confidentiel, mais il lui permet d’envisager l’avenir sereinement : le jeune homme pourrait vivre de ses rentes. Cependant, loin de se retirer, Niel se lance aussitôt dans de nouveaux projets. Il profite de son capital accumulé pour racheter une société en difficulté du secteur, baptisée Fermic Multimédia, qui éditait déjà des services de Minitel rose. Ce rachat s’opère dès 1990 en partenariat avec Fernand Develter. Xavier Niel rebaptise ensuite l’entreprise Iliad et l’oriente vers l’édition de services en ligne plus diversifiés.

Sous l’égide d’Iliad, Niel ne se contente pas de fournir des messageries érotiques. Il étend la gamme aux services Minitel de toute nature : bases de données, forums de discussion à thème, information pratique, assistance téléphonique, etc. Durant les années 1990, Iliad lance pas moins de 120 services en ligne différents, couvrant tous les créneaux imaginables de la télématique. Parmi ces créations figure par exemple le 3617 ANNU (développé en 1996), l’un des premiers services d’annuaire inversé permettant de retrouver l’identité d’un correspondant à partir de son numéro de téléphone. Cette effervescence créative montre que le Minitel n’était pas qu’un écran pour messageries roses : il pouvait donner lieu à une diversification d’usages, que Xavier Niel a su exploiter à fond.

En parallèle de l’expansion de son mini-empire Minitel, Xavier Niel commence à s’intéresser à la nouvelle vague naissante : Internet. Dès 1993, il participe à la fondation de World-Net, le tout premier fournisseur d’accès à Internet (FAI) indépendant en France. Il pressent que l’Internet grand public pourrait prendre le relais du Minitel. En 1997, il cède World-Net à un opérateur de télécommunications pour plusieurs dizaines de millions d’euros, réalisant une plus-value considérable. Dans le même temps, il prépare activement le lancement d’un nouveau FAI grand public sous la marque Free.

Free voit le jour en 1999 au sein du groupe Iliad, avec pour ambition affichée de bousculer le marché des fournisseurs d’accès à Internet. Xavier Niel capitalise sur l’expertise acquise et les fonds accumulés grâce au Minitel pour proposer des offres innovantes (accès à Internet gratuit puis box ADSL très haut débit à bas prix). Cette stratégie audacieuse réussit : en l’espace de quelques années, Free s’impose comme un acteur majeur de l’Internet français, et la fortune de Niel s’accroît exponentiellement.

Année Âge de X. Niel Événement clé
1982 15 ans Lancement du Minitel en France, fournissant l’outil qui servira de base à sa future entreprise.
1984 17 ans Création par Niel de son premier service de messagerie érotique sur Minitel.
1987 20 ans Succès financier important : des dizaines de milliers de francs de revenus mensuels grâce aux messageries roses.
1991 24 ans Vente de son activité Minitel rose initiale ; il rachète la société Fermic qui deviendra Iliad.
1999 32 ans Lancement de Free, fournisseur d’accès Internet, marquant le passage du Minitel à l’ère du web.

Un héritage controversé mais décisif

Si l’épopée du Minitel rose a été le tremplin de Xavier Niel vers la réussite, elle n’est pas exempte de zones d’ombre. En 2004, le nom de Niel apparaît dans une affaire judiciaire liée à l’exploitation de ses peep-shows parisiens. Accusé un temps de proxénétisme et de détournement de fonds, l’homme d’affaires sera finalement blanchi par la justice : aucune condamnation pour proxénétisme n’est retenue contre lui, et il écope seulement d’une peine de prison avec sursis assortie d’une amende pour des irrégularités financières mineures. Cette période trouble lui vaudra le surnom moins flatteur d’« ex-pornocrate » dans certains médias, et Xavier Niel s’efforcera ensuite de faire oublier cette image sulfureuse.

Il n’en demeure pas moins que l’invention du Minitel a joué un rôle décisif dans le parcours de Xavier Niel. Sans cette technologie typiquement française, il n’aurait sans doute pas pu démarrer aussi tôt son activité entrepreneuriale et accumuler le capital nécessaire au lancement de Free et de ses autres entreprises. Le Minitel lui a offert un premier terrain d’expérimentation et d’enrichissement qui a façonné le capitaine d’industrie qu’il est devenu par la suite. Aujourd’hui encore, le destin de Xavier Niel illustre comment une innovation technologique – même éphémère – peut engendrer de grands bouleversements dans le paysage économique et façonner l’avenir de ceux qui savent en exploiter le potentiel.

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