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À en croire les grands médias, aujourd’hui la France part en vacances au ski. Pourtant ce n’est clairement pas le cas : une semaine de vacances pour une famille de 4 personnes dans les Alpes revient en moyenne à 3 600 euros, soit plus de trois mois de smic. Malgré la vision que les riches métropolitains imposent dans leurs médias et malgré la massification de ce tourisme, on est encore loin d’un loisir accessible au plus grand nombre.

Et faut-il souhaiter que ce loisir se développe ? Le réchauffement climatique est toujours plus visible et les pouvoirs publics continuent à aménager la montagne comme si de rien de rien n’était. Dans la station de Macron (La Mongie, Hautes-Pyrénées), pas moins de 29 canons à neige (« enneigeurs » comme on dit poliment) ont été installés avant la saison hivernale ! Et les saisonniers qui permettent que toute cette économie tourne ont un statut de misère. Alors faut-il maintenir sous perfusion d’argent public un secteur économique loin d’être d’intérêt public ?

Dans le numéro 13 de Frustration (en kiosques et librairies vendredi prochain, 23/02), nous avons enquêté sur les dégâts sociaux et écologiques de l’économie de l’or blanc dans les Pyrénées. Extrait.

Le massif pyrénéen ne représente que 9 % du marché français des sports d’hiver. Ce sont les petites stations et celles de moyenne altitude qui sont les plus menacées. Pendant la saison 2013-2014, celle de Gavarnie (le site classé au patrimoine mondial de l’Humanité), en altitude élevée mais difficile d’accès, reconnaissait dans L’Express 750 000 euros de chiffre d’affaires pour un budget de fonctionnement de 1,2 million d’euros, et ce malgré un enneigement abondant. Qui a comblé le déficit ? Comme souvent dans ces cas-là, la communauté de communes. Ajoutons à cela que l’avantage fiscal pour résidences touristiques (réservées à la location pendant neuf ans) a été reconduit jusqu’en 2016, alors même que les stations pyrénéennes se trouvaient déjà en surcapacité, avant d’être enfin dirigé vers la rénovation et la performance énergétique, mais profitant toujours à des propriétaires privilégiés.

Les géographes[1] constatent que « dans ce massif, l’obsolescence du parc d’hébergement, l’attractivité réduite (clientèle locale), la taille modeste des domaines skiables et la grande variabilité des saisons ne permettent plus aux stations de gérer de manière cohérente leur activité. En réponse à ces difficultés, les stations pyrénéennes ont toutes adopté des stratégies “d’adaptation” passant par le renouvellement du parc immobilier, le développement de la neige de culture et l’extension en altitude des domaines skiables. » En effet, pour sauver ce qui peut encore l’être, les projets pharaoniques se succèdent et se heurtent régulièrement à l’opposition de la population.

[…]

Les Pyrénées connaissent un enneigement toujours plus aléatoire du fait du réchauffement climatique[2] et tout est bon pour prolonger la durée de vie des stations. L’impact le plus important d’un séjour au ski sur le changement climatique vient de la montée vers des stations reculées de nombreux véhicules qui consomment un max pour y parvenir. Mais au-delà de la pollution en tant que telle, le tourisme des sports d’hiver crée des ravages sur un milieu naturel préservé de tout autre activité que le pastoralisme jusqu’au xxe siècle. On a construit des bâtiments, des routes et des pistes en défonçant la montagne à coup de bulldozers et en la nappant de produits chimiques pour éviter l’érosion. Puis la neige artificielle modifie la composition des végétaux, et la présence humaine, qui induit pollution lumineuse et sonore, modifie l’habitat et les conditions de chasse de la faune. Pour clore le tableau, au printemps, lors de la fonte des neiges, on ramasse pas moins de 70 tonnes de déchets sur les pistes.

Alors si l’autofinancement des stations s’avère souvent insuffisant et que poursuivre leur développement est dommageable pour l’environnement, à quoi bon persévérer ?

Popeye en situation de précarité

Si le politique investit massivement dans le tourisme, c’est que celui-ci est pourvoyeur d’emploi. Selon l’INSEE, entre l’hôtellerie, les pistes, les thermes, les commerces, ce sont pas moins de 4 100 emplois liés au tourisme qui existeraient sur la période hivernale dans la zone de montagne des Hautes-Pyrénées, soit 25,5 % de l’emploi total[3] (données saison d’hiver 2009). Et le tourisme de la neige insufflerait un total de 350 millions d’euros dans l’économie du département, autant que le tourisme religieux de Lourdes. L’or blanc est donc intouchable. Mais à qui profite-t-il ?

[…] la qualité des emplois liés à la saison touristique est particulièrement mauvaise. Un tiers des emplois déclarés – sur lesquels se base l’INSEE – sont saisonniers. Difficultés à se loger dans un environnement hors de prix (seul 8 % sont logés par leur employeur), seul CDD (avec ceux de la fonction publique) sans prime de précarité, salaires en majorité au SMIC, durée des contrats de moins d’un mois dans la moitié des cas, incertitude d’être renouvelé mois après mois, pénibilité, heures supplémentaires non-payées : les saisonniers cumulent les signes extérieurs de précarité. Ils seraient aujourd’hui près de 2 millions contre 800 000 il y a cinq ans selon la CGT[4] « non en raison d’un développement des activités saisonnières, mais par une précarisation massive de l’emploi permanent et par une utilisation abusive de ce type de contrat ». Dans le massif pyrénéen 91 % des saisonniers d’hiver font partie de la catégorie socioprofessionnelle des employés et ouvriers et la durée moyenne de leur contrat est de 52 jours. Voilà le Popeye des Bronzés rhabillé en bleu de chauffe, un ouvrier intérimaire comme un autre. La CGT organise cet hiver pour la septième année consécutive la « caravane des saisonniers » qui se rend dans les stations pour faire connaître leurs droits aux travailleurs : « 65 % d’entre eux disent ne pas les connaître ».

Ici comme dans les autres lieux du tourisme de masse, les restaurants ne misent pas toujours sur les produits locaux qui feraient marcher l’agriculture, les saisonniers ont un travail précaire et des difficultés à se loger quand ils viennent de loin, alors qui sont les gagnants de ce modèle économique ? Ne sont-ce pas les gros propriétaires, hôteliers, restaurateurs, qui vendent des produits décongelés et tirent profit des saisonniers en oubliant de faire « ruisseler » les 350 millions d’euros de chiffre d’affaires évoqués plus haut.

Qui peut vraiment s’offrir des vacances au ski ?

Selon l’enquête annuelle du CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), relayée par l’Observatoire des inégalités, seuls 8 % des Français partent aux sports d’hiver au moins une année sur deux. 40 % des cadres partent en vacances l’hiver contre 9 % des ouvriers (on vous laisse deviner qui s’envole vers les Seychelles et qui roule dans les intempéries pour aller chez les grands-parents dans le Loiret). Mis à part les locaux qui peuvent pratiquer le ski à la journée sans autres frais que le forfait pistes et la location ou l’achat des skis, il faut quand même un bon petit pécule pour s’offrir le chic de revenir de vacances avec la marque de bronzage des lunettes de ski, jugez plutôt : les professionnels estiment le coût de revient moyen d’une semaine dans les Alpes en famille de quatre personnes durant les vacances d’hiver à 3 600 euros, soit plus de trois mois de SMIC. On passe à plus de 4 700 euros pour la station huppée de Val d’Isère et on peut descendre à 2 100 dans les Vosges, mais le cocktail neige-soleil n’est pas garanti et il faut avouer que revenir du ski avec des engelures, c’est nettement moins classe.

 

[1] Voir l’article « Les contestations sociales du développement touristique dans les Hautes-Pyrénées : le rendez-vous manqué de l’innovation territoriale ? » par Sylvie Clarimont et Vincent Vlès, Revue de géographie alpine no 104-1 (2016) « Montagnes et conflictualité : le conflit, facteur d’adaptations et d’innovations territoriales ».

[2] La fonte du glacier d’Ossoue, au pied du Vignemale, le plus haut sommet pyrénéen de ce côté de la frontière, est constatée d’année en année. Il pourrait avoir disparu dans 20 ans et tous ceux de la chaîne dans 50. Le glaciologue Pierre René disait à la Dépêche du Midi : « Le glacier d’Ossoue, le plus grand des Pyrénées françaises et sur lequel je travaille le plus, a perdu 100 m d’épaisseur depuis 1850. Il lui reste au maximum 40 m. »

[3] 6 pages de l’INSEE – Repères Synthèses pour l’économie du Languedoc-Roussillon no 3, avril 2013. Zone de montagne touristique pyrénéenne, un emploi salarié sur six est touristique ».

[4] Dossier de presse « Tour de France social, campagne hiver 2018 ».