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Lorsqu’il se lance dans la campagne présidentielle, le ministre de l’Économie Emmanuel Macron n’a pas d’appareil partisan derrière lui. Pour atteindre les 16,7 millions d’euros qu’il a dépensés dans sa campagne victorieuse (celle de Hamon a coûté 15 millions, celle de Mélenchon 10 millions), il lui a fallu rassembler des fonds en un temps record. Pour cela, une équipe de « fundraising » a été créée à En Marche, chargée d’organiser une série d’événement avec des « gros donateurs », c’est-à-dire ceux qui donnent le maximum autorisé par la loi, 7 500 € par personne et par an. Des têtes de réseaux (surnommées dans les mails de son équipe, que Wikileaks a fait fuiter en juillet 2017, les « PP » pour « poisson pilote ») ont organisé en France mais aussi auprès des résidents français à l’étranger de nombreux dîners où chacun venait écouter le candidat et donnait un chèque en fonction du profit qu’il espérait tirer de son futur règne. Ces donateurs ont été déterminants : en mars 2017, ils représentaient à eux seuls 45 % de la collecte totale. L’équipe du candidat a préféré communiquer sur les « petits donateurs » qui offraient quelques dizaines d’euros via un site web, mais nos informations montrent que leur impact a été faible : le démarrage de la campagne (au printemps 2016) a uniquement été rendu possible par de riches compagnons de route. Pourquoi l’ont-ils fait ? D’abord parce que pour des PDG et des rentiers, 7 500 € ne représentent pas grand-chose, d’autant moins que le don à un candidat donne droit à une réduction d’impôts à 66 %. Ensuite parce qu’ils partagent certainement la vision du monde du candidat, et son coté europhile et pro-libre-échange n’est sans doute pas étranger à la surreprésentation des Français résidant à l’étranger ou dirigeants de filiales de multinationales parmi les donateurs. Il existe aussi des raisons très personnelles qui ont poussé des « poissons pilotes » à offrir leur salon et leur réseau au futur président. Le cas de Gilles de Margerie, organisateur d’un dîner en juillet 2016 et devenu directeur de cabinet de la ministre de la Santé deux semaines après la victoire de Macron, est à cet égard révélateur. Enfin, les gros donateurs ont agi par conscience de classe : ils étaient en droit d’espérer, pour quelques milliers d’euros lâchés et des dîners organisés, faire gagner un président attentif à leurs intérêts, leurs obsessions et leurs rêves. Six mois après la victoire de leur poulain, leurs désirs ont tous été accomplis. Pour cette deuxième partie de notre enquête publiée dans le numéro 13 de Frustration (sortie le 23 février), nous nous sommes attardés sur trois villes où Macron et son équipe ont levé des fonds : Bruxelles, Londres et New York.

   New York 

Début décembre 2016, le candidat Macron se rend à New York pour faire quelques conférences la journée et participer à quelques dîners de levée de fonds le soir. L’ancien PDG de LVMH États-Unis, Renaud Dutreil, ancien ministre de Chirac, organise un dîner de collecte dans le très chic restaurant new-yorkais du chef Alain Ducasse. Le « poisson pilote » qui rameute les troupes de donateurs (nécessairement Français) est Christian Déséglise, spécialiste pour la banque HSBC. Le lendemain, Macron se rend au club de la French-American Foundation, un cercle qui sélectionne chaque année une promotion de « Young Leaders », prometteurs pour les liens entre élites françaises et américaines, afin de rapprocher les deux pays. Macron en était lauréat en 2012, succédant à d’autres personnalités politiques comme Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Laurent Wauquiez ou Alain Juppé, et médiatiques comme Denis Olivennes (président de Lagardère Active), Bernard Guetta (France Inter), Laurent Joffrin (Libération), Mathieu Pigasse (actionnaire du Monde)… Macron était certainement le « young leader » le plus prometteur pour l’amitié franco-états-unienne : en 2017, il était le seul candidat ouvertement favorable au développement de traités de libre-échange comme le CETA (Union européenne-Canada) mais aussi le TAFTA (Union européenne-États-Unis), comme il le disait au Monde en juin 2016 : « Faut-il fermer la porte [au TAFTA] de toute éternité ? Je ne le crois pas. Le premier débat à avoir avec les Américains est de savoir comment on protège nos intérêts et nos préférences collectives. Nous devons parler par exemple d’accès aux marchés publics et aux services financiers américains. Ce n’est pas mûr aujourd’hui, mais il faut se penser dans un monde ouvert, en regardant bien les équilibres mondiaux, notamment la Chine et la nécessité d’un lien fort avec les Américains. » De quoi se pâmer pour les représentants des multinationales : un « Young Leader » comme ils les aiment.

Londres 

Albin Serviant connaissait bien Emmanuel Macron. PDG du site web Apartager.com, il avait choisi de gérer sa société depuis Londres, le paradis des entreprises françaises désireuses d’échapper à la fiscalité de leur pays. Ancien de l’ESSEC, il a le réseau nécessaire pour fonder un club de patrons français à Londres, le très select French Connect London. Ce réseau travaille avec Emmanuel Macron du temps où il était ministre de l’Économie, lançant avec lui le label « French Tech » pour donner aux entrepreneurs exilés la bénédiction de leur pays d’origine. Albin Serviant est le principal organisateur de cette initiative et c’est tout naturellement qu’après avoir travaillé avec le ministre, il offre ses services au candidat à la présidentielle. Cela commence même bien avant sa déclaration de candidature puisque Mediapart nous apprend que mi-avril 2016, un seul déjeuner à Londres au domicile privé de la directrice financière d’un site de vente en ligne permet de réunir 281 250 euros pour la collecte de fonds de Macron. En septembre, Serviant remet le couvert pour un petit déjeuner de donateurs.

Qu’ont gagné les dynamiques patrons de la « French Tech » ? La baisse de l’impôt sur les sociétés, déjà initiée sous Hollande et dont Macron a prolongé la trajectoire jusqu’en 2022 : cet impôt va passer de 33,3 % à 25 % pour toutes les entreprises. Une aubaine pour les chefs d’entreprises, un coup rude pour les finances publiques. Mais encore plus précieux, pour ceux qui ont su apprécier la possibilité anglo-saxonne de virer ses salariés et leur faire enchaîner les contrats courts : les ordonnances réformant le Code du travail. Avec leurs CDD dérégulé et « CDI de mission », calibré pour le monde du numérique dont font partie les dirigeants de la « French Tech » (car il s’agit d’un contrat qui prend fin aussitôt la mission terminée), elles leur donneront à coup sûr envie de revenir à Paris.

Bruxelles – Uccle 

Uccle est jumelée avec Neuilly-sur-Seine. Et on comprend pourquoi : elle est la ville la plus riche de l’agglomération bruxelloise et les allées et venues entre les deux villes sont fréquentes. Elle a fait parler d’elle en 2012 car Bernard Arnault y avait fait l’acquisition d’un appartement afin de se domicilier fiscalement en Belgique et ainsi échapper à notre scandaleux impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Interrogé par France Info cette année-là, le bourgmestre expliquait le succès de sa ville : « Ceux qui viennent pour des raisons économiques et fiscales viennent aussi pour la proximité avec la gare du Midi et le Thalys qui met Paris à 1 h 22. Cette proximité géographique est un atout formidable pour Bruxelles en général et pour Uccle en particulier. » Emmanuel Macron n’a pas dû mettre longtemps pour se rendre à un dîner organisé par Marc Grossman, PDG de Celio et résident d’Uccle, en octobre 2016. Selon le classement annuel de Challenges, la famille Grossman est la 277e plus riche de France (même si elle réside en Belgique). Son objectif en soutenant Macron ? Monter dans le classement tout en se donnant la possibilité de revenir en France par la grande porte. Pour cela, il est certain qu’une des premières mesures fiscales du gouvernement, la suppression de la prise en compte du patrimoine financier dans le calcul de l’ISF va jouer un grand rôle.

Paris : Un dîner presque parfait, mais au frais du contribuable 

Dans un mail tiré des Macron Leaks et daté du 17 mai 2016 (Macron est alors toujours ministre de l’économie et entretient savamment le suspense autour de sa candidature aux présidentielles) on peut lire un échange entre Christian Dargnat, le coordinateur de la collecte de fonds, et Philippe Guez, vice-président en Israël de la banque d’affaires Rothschild & Cie et membre éminent du MEDEF. Il est question d’un dîner organisé dans le domicile de ce dernier, pour une raison assez explicite :

« > Le 17 mai 2016 à 15 :25, Guez, Philippe <Philippe.Guez@Rothschild.com<mailto :Philippe.Guez@rothschild.com>> a écrit :

Cher Christian,

Voici la liste des invités pour le diner de jeudi 19 mai 2016 :

  1. Michael F, CEO, Chargeurs
  2. Joseph H, CEO, Netgem
  3. Patrick J, Avocat, de Pardieu
  4. Patrick P, Entrepreneur (ex Naf-Naf)
  5. Arie B, Représentant de Elnet France
  6. Arthur G, Family Office (ex Gérard Darel)
  7. Eric D, Showroom Privé
  8. David D, Showroom Privé
  9. Eric S, Entrepreneur dans l’immobilier
  10. Jean-Claude R, Entrepreneur
  11. David L, CEO, OnePoint

Avec moi donc 12

Avec Emmanuel et vous : 14 donc s’il n’y a pas de désistement nous sommes au complet. Tous ont été informés d’une contribution de 7.500 Euros.

Amitiés

Philippe Guez »

De quoi a parlé le candidat pour pousser ces chefs d’entreprises à laisser un chèque sur la table de la cuisine ? Le mail ne le dit pas. En revanche, il permet de se faire une idée nette de ce que ce repas a rapporté à la campagne du futur président : 90 000 euros. Et combien cela a coûté au contribuable ? La réduction d’impôt sur l’ensemble de ces dons, a représenté 59 400 €.

La suite dans Frustration n°13, disponible en kiosque et librairie le 23 février.

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