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Depuis 2012, à chaque élection intermédiaire, les visages se crispent à l’entre-deux-tours. On sait que le PS perd progressivement les postes conquis durant le mandat de Sarkozy et que le FN profite des records d’abstention pour grappiller de nouveaux élus et créer de nouveaux bastions. Alors, le dimanche suivant, on se résigne en traînant les baskets vers le bureau du coin à voter PS ou LR pour contrer Marine Le Pen. « Je l’ai fait sans conviction, hein… », entend-on le lendemain devant la machine à café, le regard fixé au sol. Mais comment des électeurs de gauche peuvent-ils se résoudre à voter pour la droite ou un parti qui les déçoit systématiquement ? Que dire d’un gouvernement indifférent face à ces dérouillées successives et qui préfère gâcher son personnel local (maires, conseillers départementaux et régionaux, etc.), en plus de désespérer son électorat, plutôt que d’appliquer une politique de gauche ?

À la télé et la radio, politiques professionnels, experts et journalistes de service se pressent, la mine grave, pour vous exhorter à voter « républicain » ou « faire gagner la gauche » en choisissant PS dès le premier tour. Si vous vous révoltez, on vous montre du doigt et vous accuse de « faire le jeu du FN » ou d’être un « citoyen irresponsable » qui ne comprend rien aux enjeux et fait capoter les stratégies des partis. Bref, on vous engueule et on remet toute la faute sur votre dos. On envisage même de rendre le vote obligatoire avec quelques amendes pour dissuader les abstentionnistes tellement vous vous comportez mal… Et histoire de vous empêcher de faire d’autres bêtises, comme en cas de crise panique lors des dernières élections régionales, les partis ballotés se regroupent sur des listes communes ou se retirent pour laisser plus de place aux copains. Bref, le choix électoral devient de plus en plus un choix contraint.

De là vient l’argument du vote « utile » agité depuis plusieurs décennies. Car mieux vaut un peu de gauche que pas de gauche du tout. Et mieux vaut un peu de droite que l’extrême-droite. Avec ça, le gouvernement est toujours sûr de limiter la casse même en faisant n’importe quoi. Il suffit de lancer un vibrant appel au vote républicain et d’invoquer le rassemblement de la gauche avec quelques trémolos dans la voix pour s’en sortir et continuer tranquillement comme avant l’air de rien. Nous voyons bien que cette attitude devient intenable aujourd’hui. Cela revient à tuer toute alternative politique en reconduisant les mêmes partis majoritaires en faillite depuis trente ans. Le bulletin PS n’est en rien un vote utile, comme le pensent beaucoup d’électeurs, puisqu’il conduit à des politiques dont le rejet renforce progressivement le FN. Les électeurs n’ont pas à se culpabiliser de leur abstention et les plus coupables sont plutôt ceux qui continuent à se mobiliser pour le PS, parti qui ne possède rien de gauche, en se laissant prendre à l’argument du « moins pire ». Cela fait des années pourtant que le PS refuse de tenir ses engagements et tient des politiques en faveur des classes supérieures à chaque prise de pouvoir. Nous devrions être déjà alertés et arrêter de sauver ce parti à chaque gamelle électorale. D’où ce retour sur la trajectoire et l’historique du PS, utile pour en finir avec une prétendue gauche et balayer les incessants « oui, mais… », qu’on vous sert à chaque soirée post-électorale.

Un comique de répétition

L‘histoire, écrivait Karl Marx, se répète d’abord comme une tragédie, ensuite comme une comédie. Ce que n’avait pas prévu Marx, c’est que l’histoire pouvait bégayer et répéter deux fois la même farce. Le 10 mai 1981, François Mitterrand devient le premier socialiste élu Président de la Vème République. Le 6 mai 2012, François Hollande reprend le flambeau et accède à son tour à l’Élysée. Pour ceux qui accordèrent leurs suffrages au PS, chacun de ces mandats apportera son contingent de déceptions et de reniements. Mais plutôt que de tirer les leçons de ces échecs successifs, certains persévèrent dans le vote socialiste, présenté comme un moindre mal, afin de faire barrage à la droite et l’extrême-droite, nourrissant le vague espoir qu’un candidat (vraiment) de gauche émerge et tienne ses promesses de campagne.

Nous voulons montrer qu’ils se trompent. Nous voulons montrer que le PS n’est qu’une « deuxième droite » et que cette confusion favorise le FN. L’abstention marquée de l’électorat de gauche reflète cette prise de conscience et signale un refus grandissant du « vote utile » ou du chantage à l’extrême-droite pratiqué par le PS dans l’entre-deux-tours. Nous voulons montrer que François Mitterrand, Lionel Jospin et François Hollande ne sont pas des accidents ou des « erreurs de casting » qu’il s’agira d’éviter aux prochaines primaires de gauche mais la conséquence nécessaire de l’institutionnalisation du PS et de sa prise de pouvoir.

Cet article se veut un antidote à la mémoire volatile des électeurs et leur inclination à se jeter dans les bras du prochain candidat socialiste qui en appellera au grand changement et reniera avec de faux sanglots les errements libéraux de ses aînés pour s’empresser de poursuivre leur œuvre dès que la pratique du pouvoir le lui permettra. Nous soutenons, en rappelant les événements majeurs des deux mandats présidentiels socialistes de François Mitterrand et de François Hollande et leurs troublantes similitudes, que la dérive libérale, conservatrice et autoritaire est inscrite dès le départ dans ce parti en raison de sa position dans l’espace politique, l’état des structures du pouvoir, sa composition sociale et le profil de ses cadres dirigeants.

Un parti où se battent pour les postes de commandement technocrates cyniques sortis des grandes écoles et opportunistes de la première heure. Et rappeler comment le PS est parvenu, avec l’appui d’intellectuels et de journalistes portés à la servir dans sa course au pouvoir, à tuer toute critique du capitalisme pour lui préférer un bouillon idéologique conservateur et libéral d’un type nouveau. Rappeler comment ce parti est parvenu à dissimuler sa droitisation par des effets de langage et à acclimater les thèmes de la droite et l’extrême-droite pour remplacer les électeurs qu’il perd massivement à gauche. Plutôt que du « socialisme des responsabilités », selon la piteuse expression des socialistes joyeusement convertis au libéralisme, nous voulons pointer les responsabilités du socialisme en France ces dernières années.

Au-delà du parti, les virages droitiers du PS signalent la faillite morale de toute une génération issue du gauchisme militant des années 1960 qui s’est ralliée à l’économie de marché et au maintien de l’ordre établi. Ce mouvement d’ensemble, qui a jeté dans la fosse les principaux idéaux d’égalité et de luttes pour les droits défendus quelques décennies plus tôt, aura laissé place aux débats identitaires et culturels charriés par les courants réactionnaires. Pour nous, le PS est pire que la droite, il est une Sur-droite, une droite redoutable car il en surpasse le programme et ment effrontément sur sa nature profonde. Il détruit la critique sociale et discrédite avec lui tout projet émancipateur. C’est l’acharnement du procureur, donc du gouvernement socialiste, qui a précipité la condamnation récente des salariés de GoodYear d’Amiens  en lutte pour la défense de leur emploi malgré l’abandon des poursuites par la direction de l’entreprise. Cette répression gratuite révèle encore plus clairement le camp choisi par le PS dans l’arbitrage des conflits sociaux. En 1981, lorsque l’important syndicat polonais Solidarnosc se trouve interdit et pourchassé par la dictature en place, malgré la mobilisation intense d’intellectuels et d’artistes, François Mitterrand décide de ne rien faire afin de ne pas froisser les rapports de la France avec l’URSS qui garde la Pologne dans sa sphère d’influence. On voit donc mal quel renouveau politique nous pouvons espérer d’un parti occupé à maintenir l’ordre établi et à écraser toute contestation.

Aux origines du parti socialiste

Pour saisir la vérité du PS, il faut rappeler de quelle cuisse il est sorti. Avant de devenir une écurie présidentielle, le PS a représenté en France un coup de force politique majeur à la toute fin des années 1960. Le terrain de la gauche est alors occupé par un Parti communiste encore à son zénith et un ancien parti socialiste moribond, la SFIO, qui joue les forces d’appoint dans les grandes coalitions de centre. Entachée par son implication dans les exactions de la guerre d’Algérie et les scandales politico-financiers, la SFIO se vide de ses adhérents et enchaîne les déboires électoraux. Parallèlement et dans la foulée de Mai 68, émergent de nouveaux partis et des mouvements aux revendications inédites (féministes, gays, pro-IVG) exaspérés par le rigorisme des années de Gaulle et qui échappent à l’encadrement autoritaire du PC. La vieille maison SFIO se trouve ringardisée et marginalisée par ces aspirations démocratiques qui bousculent les agendas politiques traditionnels. Afin de canaliser ces forces bouillonnantes de gauche et s’en faire une base de lancement pour les prochaines échéances électorales, François Mitterrand, grand stratège politique de la période, lance plusieurs regroupements incorporant la SFIO et les organisations de la gauche non-communiste. Ces fusions aboutiront à la création du PS dont il prend la direction au congrès d’Épinay en 1971.

« Celui qui ne consent pas la rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut pas être adhérent du Parti socialiste » martèle le nouvel homme fort de la gauche. Mais François Mitterrand n’a rien d’un révolutionnaire, bien au contraire. Issu de la petite-bourgeoisie catholique, pris dans des cercles d’extrême-droite pendant ses études et d’abord fonctionnaire sous Vichy avant de passer à la Résistance, il va longtemps louvoyer entre diverses formations de centre-gauche. C’est un homme de pouvoir qui a déjà tenu plusieurs ministères sous la IVème République et mené deux campagnes pour la présidence de la République. On peut à ce stade reconnaître communément à François Mitterrand et François Hollande un certain art de la synthèse (qui suppose l’absence de convictions durables) dans leur habileté à enregistrer les variations du champ politique pour se positionner sur les créneaux politiques les plus profitables. À la fin des années 1960, Mitterrand comprend rapidement l’intérêt à capitaliser sur la poussée de Mai 68 et sa puissance militante pour unifier la gauche et repartir en croisade présidentielle. Le nouveau-né PS, au berceau duquel se penchent les bonnes fées opportunistes de 68, va connaître une ascension fulgurante et dominer progressivement toutes les élections intermédiaires avant le sacre de 1981. Surtout, il va participer à la réduction d’influence d’un PC souffreteux depuis la déstalinisation et attaqué par la vogue antitotalitariste au point de constituer rapidement le centre de gravité de la gauche. Pour les décennies à venir, le PS va incarner une gauche de gouvernement.

Le débarquement des classes moyennes

Mais de quel bois est fait le navire PS ? Le parti s’appuie au départ sur un réseau militant très dense et mobilisé plutôt jeune et éduqué à l’origine des nouvelles formes de mobilisation ayant porté les revendications soixante-huitardes. Il ne s’agit pas d’un parti populaire tant il reste propulsé par les classes moyennes salariées et les générations d’étudiants qui sortirent en masse de l’après-guerre. Ces couches techniques et intellectuelles (journalistes, professeurs, métiers de la communication, cadres, commerciaux, ingénieurs, instituteurs, hauts fonctionnaires etc.) présentent une importance numérique et fonctionnelle croissante dans le société française mais restent à la lisière du pouvoir placé sous la gestion gaulliste et de la droite classique depuis 1958. Cette position subordonnée dans le champ du pouvoir les placera vite en sympathie avec les classes populaires, jusqu’à la dénonciation des « puissances de l’argent, qui corrompt, qui achète, qui écrase » par François Mitterand et la reprise du discours anticapitaliste porté par le PC. C’est là que réside l’illusion. Sitôt arrivé au pouvoir, le parti amiral des classes moyennes va verser de l’eau (libérale) dans son vin (socialiste) et défendre les intérêts de ces strates intermédiaires au détriment des couches plus défavorisées. Au lieu d’une rupture avec l’ordre économique, le PS va au contraire gérer l’adaptation de la société française aux changements du capitalisme mondial et mettre à l’honneur ces classes moyennes chargées de l’encadrement et l’éducation des strates inférieures.

La montée en puissance du PS sanctionne d’abord l’émergence des nouvelles couches moyennes intellectuelles et techniciennes sécrétées par la France d’après-guerre appelées à prendre le relais d’une droite traditionnelle usée par l’exercice du pouvoir qui s’est rendue incapable de les tenir plus longtemps à distance. Comme le conclura Laurent Fabius après coup : « C’est à nous qu’est revenu de faire le « sale boulot », précisément parce qu’il n’avait pas été fait avant. ». Ce ralliement progressif à une vision et une politique libérales s’est même inscrit dans la doctrine officielle. La déclaration de principes du PS adoptée par les militants en 2008 voyait pour la première fois disparaître le terme de « lutte des classes » de son texte de référence. Le commerce capitaliste adoucit les mœurs socialistes.

Portrait du socialiste moyen

Un bref aperçu de la composition socio-démographique du PS aide à mieux comprendre ses orientations politiques réelles . Aujourd’hui encore, les plus de 40 ans et les hommes regroupent chacun 70 % de la base ce qui tend à en faire un parti essentiellement masculin et âgé. Les cadres et professions intellectuelles supérieures complètent près de la moitié des rangs quand ouvriers et employés n’en occupent que 12 %. Le niveau d’éducation y est extrêmement élevé puisque 64 % des adhérents sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur contre 14 % dans la société française. Cette tendance à l’élitisation se voit renforcée par la place privilégiée qu’occupent les syndicats étudiants tels que l’Unef et le poids des formations comme le MJS (Mouvement des jeunes socialistes) qui recrutent dans la jeunesse favorisée pourvue d’un fort capital scolaire et servent de marche-pied aux futurs cadres du parti.

Manuel Valls, Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray et Jean-Marie Le Guen, cadres historiques du PS, présentent ce parcours type. Comme le détaille le journaliste Laurent Mauduit , ils ont évolué ensemble dans les organisations étudiantes d’extrême-gauche, passant souvent plus de temps à tracter qu’à étudier, pour gravir peu à peu les échelons jusqu’à se hisser au sommet de l’appareil PS qu’ils rejoignent après leurs années gauchistes. On retrouve là une classe d’hommes politiques intégrés par le militantisme, devant tout à un capital de relations patiemment accumulé au fil du temps qui servit leur fortune. Ils joueront par exemple un rôle décisif dans l’administration de la MNEF au cours des années 1980, mutuelle étudiante connue pour ses nombreuses dérives qui se solderont par des condamnations pour abus de biens sociaux, détournements de fonds publics et abus de confiance. Opportunisme et soif de pouvoir guideront à coups d’intrigues et de stratagèmes dans diverses organisations politiques leurs destins si proches. Manuel Valls finira par entrer dans le cabinet du Premier ministre Michel Rocard qui n’en voulait pas, méfiant envers ce jeune ambitieux qui devait tout à la politique… Laurent Mauduit rapporte encore que Jean-Christophe Cambadélis n’hésitera pas à usurper son titre universitaire de docteur en sociologie pour assurer sa légitimité dans les instances du PS. De l’autre côté, on retrouve énarques et diplômés de grandes écoles – François Hollande, Ségolène Royal, Michel Sapin, Pierre Moscovici etc. – qui trustent les postes hauts gradés. Il faut dire qu’à leur sortie de l’ENA, le PS représentait un choix de carrière adapté à une stratégie de promotion rapide plutôt qu’une décision politique. L’inspection de la « tête » révèle finalement la confiscation d’un parti au départ militant par des élites administratives et carriéristes tournées vers leur consécration et qui maintiennent au pied d’une hiérarchie rigide le gros des adhérents. Comme le résument les politologues Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki : « La société des socialistes apparaît ainsi comme une société de plus en plus refermée sur elle-même, où les enjeux liés à la préservation des positions de pouvoirs apparaissent surdéterminants. »

Élu un jour, élu toujours

Ce phénomène d’élitisation est devenu particulièrement visible lors de la constitution du premier gouvernement par François Hollande en 2012. Comme le résume un journaliste de Mediapart après les nominations : « Plus que jamais, les énarques et les grands corps de l’administration (Conseil d’État, Cour des comptes, Inspection des finances…) ont le pouvoir : 23 des 34 ministres ont un diplômé de l’ENA à la tête de leur cabinet. Deuxième enseignement : si le gouvernement est paritaire (pour la première fois de l’histoire) et si certains ministères ont fait un effort, les femmes ne représentent que 31 % des effectifs. Enfin, si plusieurs cabinets se targuent d’une certaine « diversité » car ils ont mêlé des diplômés de l’ENA à d’autres grandes écoles (SciencesPo, Polytechnique, HEC…), les équipes sont largement blanches. » Cet arbitrage en faveur des technocrates, un directeur de cabinet en livre la clef : « Entre un conseiller qui connaît la politique de terrain dans une collectivité et un abruti du Conseil d’État, c’est toujours le second qui a gagné. » . La prophétie de Mitterrand se trouve ainsi réalisée. Lors du dernier conseil des ministres précédant une seconde cohabitation avec la droite, le patriarche socialiste se lève devant ses fidèles, dépités, et les exhorte à ne pas se laisser abattre leur prédisant leur retour au pouvoir. Michel Sapin et Ségolène Royal étaient déjà présents dans la salle. Signe d’une caste qui attend son dû et retrouve quelques années plus tard les mêmes places chauffées par leurs semblables.

    On a pris l’habitude de parler d’une coupure entre la base militante et la tête dirigeante pour expliquer le dérapage libéral des socialistes parvenus au pouvoir. Sûrement existe-t-elle, mais celle-ci nous semble très atténuée au regard de la composition sociale de ce parti. Plus récemment, un sondage auprès des sympathisants de gauche en vue de potentielles primaires plébiscite déjà Manuel Valls et François Hollande pour les présidentielles de 2017. Le PS conduit des politiques conformes aux intérêts sociaux de ses adhérents et de ses responsables, politiques qui prévoient la maltraitance économique des classes populaires, presque absentes de sa base, pour le maintien du taux de profit et la reconduction des inégalités. Il ne s’agit donc pas d’un reniement, comme s’en plaignent souvent les commentateurs politiques, mais plutôt d’un accomplissement. Le papillon libéral est sorti de la chrysalide socialiste. Pour faire voir ce qui ne doit rien au hasard, il suffit d’observer la continuité éclatante entre la politique de François Mitterrand et celle de François Hollande.

Faites la guerre, pas la politique

On se plaît souvent à associer la gauche à l’humanisme et au pacifisme. Pourtant les ventes d’armes aux pays d’étrangers continueront à bien se porter sous les présidences de François Mitterrand et encore plus celle de François Hollande qui peut jouer les VRP de choc pour vendre des Rafale en Inde. Plus encore, les interventions militaires à répétition pour sécuriser les intérêts français ne manqueront pas. Derrière les envolées tiers-mondistes de Mitterrand, on n’hésitera pas à trier les mauvais des bons tyrans, réservant aux premiers les indignations gratuites et aux seconds les banquets de l’Élysée (le président Bongo, le maréchal Mobutu). Au lieu de calmer les tensions internationales, les « socialistes » ravivent le feu dans la plaine et bombardent à loisir. Dans un contexte de guerre froide où s’opposaient les États-Unis et l’URSS, la France de Mitterrand aura souvent lorgné du côté atlantiste et déplacé ses pions au gré de ses intérêts géostratégiques. C’est ainsi que les circuits économiques malsains et corrompus entre la France et l’Afrique Noire sortirent renforcés de la décolonisation avancée.

L’intervention récente au Mali n’est qu’un nouveau calcul économique habilement dissimulé sous la bannière des droits de l’homme : la menace que faisaient peser les menées d’AQMI dans la région sur l’exploitation de l’uranium nigérien recommandait une frappe préventive des forces armées françaises. Empressé d’attaquer en Syrie en août 2013, le chef de guerre François Hollande fut contraint de freiner brusquement quand Obama se retira de l’affaire . Depuis, et à quelques mois d’intervalle, les cibles en Syrie ont changé et DAECH devient prioritaire… Aujourd’hui, 7 000 militaires français restent déployés dans des opérations extérieures et on se félicite chaudement à chaque vente de matériel de guerre. Le désengagement pacifiste n’est pas un étendard de la gauche gouvernementale qui préfère largement l’escalade violente quand les grands groupes français requièrent la défense de leurs intérêts à l’international. Le PS fonce tête baissée dans des opérations militaires pour sauver les rentes économiques de ses fleurons nationaux.

La stimulation patriotique à travers les interventions armées sert également à dévier l’attention des luttes sociales, de la flambée du chômage et de l’accroissement des inégalités. Au temps de la Guerre froide, sous François Mitterrand, on exalte la défense du « monde libre » contre l’empire soviétique. S’impose alors la scène d’un duel à mort entre deux camps qui relègue à l’arrière-plan les luttes internes et cherche à souder le corps social autour de l’identification à une entité totalisante (la Patrie, la Nation, le Peuple français, l’Occident, etc.). Le terrorisme sous François Hollande va occuper la même fonction et renouveler les catégories de l’affrontement global en opposant l’Occident moderne au DAESH obscurantiste. Ces simplifications excessives, en dehors de l’inefficacité des stratégies militaires qu’elles appellent, valorisent l’appartenance nationale au détriment des inégalités sociales et habituent le corps social à l’autorité et la discipline d’un état d’urgence. Elles autorisent toutes les dérives en matière de répression policière et de contournement des libertés publiques. On constate dès lors un ralliement de la gauche gouvernementale à la droite la plus extrême.

À ses débuts, la République française fut violemment attaquée pour sa présumée incapacité à mener une guerre avec l’ardeur d’un régime monarchique qui dispose des coudées franches pour lever et diriger une armée. En jetant les travailleurs français dans la boucherie de 1914-1918, la IIIème République a cependant prouvé à ses détracteurs qu’elle était capable d’emballement guerrier et de suspendre le cours démocratique sous couvert d’Union Sacrée pour faciliter le massacre. Il semble que la gauche gouvernementale d’aujourd’hui se lance dans une démonstration excessive de puissance qui hâte le passage à la surveillance généralisée pour lever les reproches de la droite hystérique et doubler celle-ci dans la dramatisation sécuritaire. Après 27 lois antiterroristes dont on a pu mesurer l’efficacité récente, la prorogation interminable de l’état d’urgence, bien pratique pour autoriser la police à perquisitionner pour beaucoup d’autres motifs , et l’annonce de la déchéance de nationalité forment le programme d’une gauche autoritaire qui renforce son pouvoir exécutif et déséquilibre la démocratie.

Le mythe de la troisième voie

Le premier PS s’est assuré un succès électoral en rejetant à la fois le communisme autoritaire et la trop tiède social-démocratie. Il lui fallait revendiquer une troisième voie qui conjure les méfaits du collectivisme soviétique et du capitalisme privé. En réalité, il représentait un parti social-démocrate, honteux de lui-même, cherchant à sublimer sa banalité en haussant le ton contre les « méfaits de l’argent ». Pour emporter les élections, il devait nécessairement se présenter à égale distance des extrêmes et inventer un lieu imaginaire qui transporte son électorat persuadé d’inaugurer une ère politique inédite. Refuser doublement la « société des assistés » et la « société de la jungle » assurait Mitterrand. Pour tenir ce « ni-ni » et cette définition toute négative du politique, le PS a dû monter un discours farfelu mêlant la rhétorique de la droite libérale et un humanisme bon teint afin de se démarquer et donner l’illusion de la nouveauté. Viendra rapidement dans la bouche des chefs socialistes l’éloge du risque, de la responsabilité, de l’initiative, de l’entrepreneur etc. en lointain écho au « J’aime l’entreprise » de Manuel Valls et autres déclarations énamourées au marché. Chassez le naturel, il revient au galop.

Tout comme une compagnie change de nom et adapte sa communication pour laver son image et faire oublier ses pratiques malhonnêtes, le PS et ses alliés médiatiques et intellectuels parviendront à fabriquer un discours bâtard leur permettant de dire la même chose que la droite sans avoir l’air de le dire. Ainsi, on ne prononcera plus « capitalisme » mais « économie de marché ». On ne parlera pas d’ « adaptation néolibérale » ou de « résignation » mais de « modernisation du pays ». « Briser les tabous » et « prendre ses responsabilités » deviendront d’habiles façons de jeter par-dessus bord les acquis collectifs et d’annoncer l’entame des droits sociaux. Toutes ces substitutions lexicales et ces euphémismes trompeurs donnent l’air de la différence pour jouer la stricte continuité. Forçant le trait à gauche, la gauche gouvernementale invoquera encore son attachement à la justice sociale, à l’égalité des chances, à la solidarité etc. (tout le rouleau des étiquettes humanistes y passe) histoire de se repaître dans des valeurs abstraites contredites par le contenu concret des politiques inégalitaires qu’elle mène.

En pointant du doigt l’horizon d’un faux progrès, la modernisation, on camoufle ainsi des régressions sociales immédiates et on berne tout l’électorat. Ces trouvailles de langage utilisées jusqu’à l’écœurement – au point de rendre aujourd’hui tout discours de socialiste ou de l’un de leurs alliés difficilement supportable – créent les conditions de la victoire. Car si la phraséologie vide du dialogue social et de l’intérêt général efface les problèmes et bloque la critique, elle anesthésie également la vigilance de l’électeur mystifié par le « socialisme des possibles » et « l’appel de la modernité ». Et quand celui-ci vient à se révolter et à déclarer que le roi socialiste est nu, on lui opposera nécessairement le « réalisme », le « pragmatisme » et autres mots de la soumission heureuse aux intérêts dominants.

Peine de mort et mariage homosexuel : l’effort minimum

    Les mesures telles que l’abolition de la peine de mort sous Mitterrand, ou encore l’ouverture du mariage aux couples de même sexe sous Hollande, constitueront un refuge idéal pour une gauche institutionnelle soucieuse de se repeindre en mouvement progressiste et d’exhiber une différence avec la droite traditionnelle. On retrouve l’argument des électeurs socialistes : votons PS, nous obtiendrons toujours des « mesures sociétales » que la droite nous refusera. Évidemment, l’ouverture de droits nouveaux aux minorités et la restriction du droit de l’État à tuer sont des progrès objectifs, mais le PS n’a jamais fait que rattraper son retard en remédiant à des situations honteuses pour la France. La peine de mort était déjà abolie dans de nombreux pays européens quand Badinter la supprima en 1981 ; de même le mariage homosexuel existait depuis le début des années 2000 aux Pays-Bas et en Belgique. Le PS avait accumulé un retard considérable pour des propositions que les mouvements militants, à l’écoute desquels il devrait se trouver, exigeaient depuis déjà longtemps.

Dans le cas du mariage gay, il les aura lui-même freinées en reportant leur application ou leur trouvant des expédients comme les pactes d’union civile . La gestion de ce dossier fut loin d’être exemplaire quoi qu’en disent les commentaires laudateurs sur Christiane Taubira après son départ récent . En plus d’avoir traîné en longueur, plusieurs incidents tels que la circulaire en interdisant le bénéfice aux couples binationaux ou encore l’absence du cabinet de la ministre au moment de le défendre devant le Conseil constitutionnel ont fragilisé le texte. Christiane Taubira s’est montrée distante avec les médias et les associations LGBT qui ont principalement organisé le soutien social au projet de loi.

Elle s’en est finalement tenue au strict minimum, retirant même du projet la PMA pour les couples de même sexe et réservant ses discours grandiloquents à ses passages devant le Parlement. Et que dire du bafouillage de François Hollande sur une potentielle clause de conscience soit la possibilité pour un maire de refuser catégoriquement de marier certains couples ? Quand il s’est agi de la loi Macron amenant la dérèglementation du travail le dimanche et autres attaques contre les salariés, le gouvernement s’est montré plus expéditif et capable de manier l’article 49-3 afin d’en forcer le passage. Le PS n’a pour ainsi dire produit aucune innovation sociale et politique ces dernières décennies, seulement s’est-il contenté de s’aligner a minima sur les acquis démocratiques obtenus chez nos voisins pour ménager un électorat le plus large possible. Sur le terrain où il se présente comme champion, le PS constitue plutôt l’arrière-garde et reste à la remorque de transformations démocratiques souvent définies contre lui.

Les fausses révolutions économiques

Mais il fallait encore lâcher quelques gadgets politiques pour ne pas réfréner les ardeurs démocratiques suscitées par le PS au risque de les voir se retourner contre lui. François Mitterrand et autres marchands de rêve vont rapidement trouver deux mirages : l’autogestion et la décentralisation. Il s’agissait alors, dans le strict cadre la production marchande, d’injecter des doses de démocratie dans l’entreprise privée en frayant des associations plus étroites entre capital (patrons, actionnaires etc.) et travailleurs. Ce processus devait valoriser un nouveau type d’intermédiaires chargés d’arbitrer sur les décisions de l’entreprise.

On pourra mesurer avec les plans sociaux d’aujourd’hui l’efficacité des mesures prises en ce sens et le progrès des intérêts des travailleurs dans la gestion des entreprises… La décentralisation, entreprise à son tour en 1981, devait rendre un vent de démocratie participative en déléguant aux pouvoirs locaux une partie des prérogatives nationales. Là encore, le soufflet socialiste est vite retombé. Il ne s’agissait, au bout du compte, que de décongestionner administrativement l’État en laissant des miettes de pouvoir aux collectivités locales. Au final, ces artifices ne touchent à rien de fondamental des structures économiques et sociales. Bref, le PS au pouvoir s’agite pour promouvoir de fausses révolutions ou des « chocs » (de simplification, de confiance etc.) capables de donner l’illusion du changement. Pour que tout reste comme avant, il faut que tout bouge.

L’actuel gouvernement socialiste lui rôde les prochains numéros. On bâtit donc de nouvelles mythologies. Après l’autogestion inoffensive des années 1980, on se pâme aujourd’hui devant l’économie collaborative de Uber, Airbnb, BlaBlaCar etc. annonciatrice pour le ministre de l’économie Emmanuel Macron d’un capitalisme plus égalitaire où chacun aurait sa chance. Nous sommes déjà revenus sur cette arnaque politique (voir article n°5). Le revenu universel fait encore partie de ces mystifications, que plébiscite une partie de la droite traditionnelle, qui ont l’avantage de ne rien changer à l’exploitation économique en faisant applaudir des transformations superficielles. Chaque présidence socialiste trouvera ainsi ses récits à raconter au coin du feu pour annoncer l’âge d’or d’une société post-salariale et néo-entrepreunariale, ce rêve caché du PS désireux de voir disparaître toute conflictualité et fusionner le capitaliste et le travailleur pour faire s’éloigner le cauchemar d’une lutte des classes qui lui reviendra un jour à la figure.

Le changement a bien eu lieu

« Changer la vie » disait le programme de François Mitterrand. « Le changement, c’est maintenant ! » scandait François Hollande. Le changement a bien eu lieu, mais pas dans le sens où on l’entendait… Dans les journées de mars 1983, François Mitterrand se retrouve au pied du mur. La politique qu’il a déjà pu conduire se heurte à plusieurs retours de manivelle liés à un environnement européen et occidental libéral (dévaluations du franc, blocage des prix et des salaires). Il n’y avait pourtant rien de franchement radical. Les nationalisations en trompe-l’œil entreprises au début du septennat annonçaient un capitalisme d’État plutôt qu’un passage au socialisme.

Pour le reste, il s’agissait de quelques menues concessions (retraite à 60 ans, 39 heures, lois Auroux pour la représentativité des salariés, augmentation des allocations familiales et vieillesse, impôt sur les grandes fortunes etc.) inspirées par le programme commun qui constituaient des aménagements – pour certains démis par la droite traditionnelle lorsqu’elle reprit le pouvoir – et non une remise en cause du rapport de force entre travailleurs et possédants.

Mais le contexte international et les hésitations de François Mitterrand vont finir par le ramener dans le giron libéral et ouvrir la parenthèse austéritaire baptisée « tournant de la rigueur », jamais refermée depuis… Au Royaume-Uni et aux États-Unis, Margaret Thatcher et Ronald Reagan mènent la contre-offensive libérale et dérèglementent à tout-va emportant dans leur course le président socialiste français. Cette régression passera par différentes mesures législatives qui accompliront la dérégulation française : loi bancaire de 1984 ; loi Bérégovoy de 1986 sur la dérèglementation financière ; diminution de la fiscalité sur les revenus du capital en 1990 ; Traité de Maastricht de 1992 interdisant toute restriction aux mouvements de capitaux entre les États membres et avec les pays tiers etc.

Le piège européen

    L’autre question brûlante est celle de l’unification européenne qui prévoit l’harmonisation des politiques des États européens sur un modèle libéral. Le 19 février 1983, Mitterrand se dira en coulisses « partagé entre deux ambitions : celle de la construction de l’Europe et celle de la justice sociale. » Il décidera finalement de se maintenir dans le SME, embryon de la monnaie unique, avec pour contrepartie l’adoption d’une politique de rigueur. Une fois le bras coincé dans l’engrenage européen, les traités se succèderont (Traité de Maastricht, Traité de Lisbonne) avec gravés en eux une politique macroéconomique de réduction des déficits qui ôte toute marge de manœuvre nationale. Cette délégation volontaire de souveraineté à l’Union Européenne, décidée par le PS et soutenue par la droite traditionnelle, permet aux politiques de se déresponsabiliser publiquement de choix économiques qu’ils auraient de toute façon imposés avec ou sans Union Européenne. La succession de François Mitterrand, avec François Hollande notamment qui ne renégocia pas en profondeur le traité budgétaire européen d’inspiration austéritaire comme il s’y était engagé, ne fera qu’approfondir cette préférence initiale pour la construction européenne au détriment d’une politique sociale. L’appel à l’unification libérale de l’Europe s’annoncera pratique pour camoufler derrière un impératif de paix entre les peuples des politiques de persécution économique exigées par l’Union Européenne qui ravivent les tensions entre pays et menacent directement cette paix même qu’il s’agit de défendre.

Faire le boulot de la droite

Voir le PS rendre si rapidement les armes en 1983 fut assurément une divine surprise pour Yvon Gattaz, président du principal syndicat patronal, le CNPF, qui vit dans cette conversion de la gauche française au discours entrepreneurial une « véritable révolution ». Pierre Gattaz, fils du précédent et à la direction du nouveau CNPF qu’est le MEDEF, peut se féliciter de voir les socialistes d’aujourd’hui si bien retenir les leçons d’hier et de l’attention soutenue qu’ils continuent de lui prêter. Communication rendue aisée par le fait que patrons et socialistes parlent aujourd’hui la même langue. Déjà en 1985, Michel Rocard, le futur Premier Ministre de François Mitterrannd, mentionnait « ce paradoxe qui a voulu que ce soit sous le gouvernement de la gauche, et par la gouvernement de la gauche, qu’ont été revalorisés l’entreprise, le marché, le champ international, que ce soit durant cette même période que les salaires et le pouvoir d’achat ont baissé tandis que la Bourse ne cessait de monter. » (Forum de L’Expansion, 3 octobre 1985).

La gauche PS, loin de révolutionner la politique, s’est chargée du processus d’adaptation de la France à la mondialisation libérale, tâche où elle a peut-être mieux excellé que la droite qui l’avait précédée. Cette analyse vaudrait pour tous les partis de gauche dits sociaux-démocrates en Europe dont l’unique fonction est de servir de fusible à la droite traditionnelle. Preuve de l’indifférenciation des gauches et des droites de gouvernement, l’indice de libéralisation financière établi par le FMI a grimpé continûment dans tous les pays développés depuis la fin des années 1970 par-delà ces alternances politiques sans alternative.

Certes les marchés financiers et l’Union Européenne exercent une violence redoutable pour faire courber l’échine aux récalcitrants. L’humiliation subie par Syriza en Grèce et le redressage de Tsipras à coups d’attaques médiatiques et financières en donnent un exemple récent. Les structures du pouvoir convertissent souvent l’opposition critique qui accède aux responsabilités en gardiens de l’ordre. Nous voulons montrer que, dans le cas du PS, sa nature profonde l’inclinait à se débarrasser très rapidement de ses intentions démocratiques et sociales pour épouser les formes politiques dominantes.

L’ajustement est si bien réussi que François Hollande et ses partisans n’ont plus besoin de rappels à l’ordre et devancent les attentes des classes dirigeantes. Une note interne rédigée peu avant le premier tour des élections présidentielles par le cabinet d’expertise Cheuvreux du Crédit agricole à l’attention de ses clients – rendue publique par le journal Fakir qui parle de « plan de bataille des financiers » – rassurait ceux-ci sur la parfaite innocuité du candidat François Hollande et son aptitude à poursuivre le travail de sape des acquis sociaux et du droit du travail . Ce document écrit hors des codes de la communication résume parfaitement la confiance des décideurs économiques, assurés que les démocraties européennes produisent le même type de dirigeants politiques et que l’arrivée potentielle de partis d’extrême droite au pouvoir n’effraie pas. Sa lucidité spéciale révèle les graves dysfonctionnements de nos systèmes politiques soumis à des contraintes externes et la débâcle qui nous attend.

Peut-on parler de panique à bord ? Depuis 2012, près de 25 000 militants ont sauté du navire PS et le taux de renouvellement des cotisations est en chute libre, à quoi s’ajoutent les saignées électorales qui ont vu ce parti perdre coup sur coup les mairies, le Sénat, les départements et les régions. Alors, doit-on attendre du PS qu’il finisse par se saborder lui-même, incapable de déguiser les contradictions entre quelques lambeaux d’un discours de gauche qu’il agite et le libéralisme effréné de son émanation gouvernementale ?

Il est bien plus probable qu’il entraîne dans sa chute tous ceux qui nouent avec lui des alliances de gauche plurielle au nom du « rassemblement » et se soumettent à sa posture encore dominante. Pour sauver la bâtisse et freiner le déclin, les stratèges du PS cherchent de nouvelles cibles. Comme en témoignent les notes éditées par le think tank Terra Nova, principal organe de réflexion du PS, le largage des classes populaires est de plus en plus clairement assumé et on théorise de nouveaux appuis électoraux dans une constellation regroupant les jeunes, les femmes, les minorités ethniques, les minorités sexuelles, les fractions cultivées etc.

Bref, on trouve là le nouveau mode de lecture sériel du PS qui voit dans la société des intérêts catégoriels qu’il peut attirer par quelques annonces fracassantes de campagne. Mais pour se sauver à court-terme sans dévier de sa politique autoritaire et libérale, il s’accommode d’un jeu pervers avec le FN. On sait que François Mitterrand introduisit cyniquement la proportionnelle aux élections législatives de 1986 pour limiter le retour d’une majorité de droite ce qui permit au FN de décrocher 35 députés à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, de la confusion s’ajoute. Non seulement le gouvernement socialiste de Manuel Valls empiète sur la droite traditionnelle, en reprenant ses options sécuritaires, plaçant également les thématiques du FN au centre du débat, mais il semble encore résolu à laisser monter l’extrême-droite, convaincu de l’effet répulsif que celle-ci exerce encore sur la majorité de l’électorat pour remporter facilement un second tour qui opposerait François Hollande à Marine Le Pen. Dans son processus de décomposition, le PS risque un emballement dangereux le portant à récupérer des positions politiques de plus en plus extrêmes en partie produites par sa politique mensongère et désespérante. Par un effort rétrospectif, nous voulions rappeler aux mémoires défaillantes qu’à tout niveau (économique, militaire, social, sécuritaire), le Parti socialiste a sombré dans une dérive répressive, libérale et conservatrice que ne suffisent pas à racheter les quelques réformes sociales mineures qu’il porte en médaille.

Et le supplément du pire consiste à encore revendiquer pour ce parti une appellation de gauche qui sert de rayon paralysant contre les intermédiaires (syndicats, mouvements progressistes etc.) chargés de la mobilisation et qui envahiraient déjà la rue pour les mêmes mesures s’il s’agissait d’un gouvernement de la droite officielle. En son temps, François Mitterrand avait domestiqué la CGT en incluant des communistes sur des ministères mineurs. Le PC français s’en est trouvé définitivement décrédibilisé et réduit à la portion congrue aux élections suivantes.

Il ne s’agit donc plus aujourd’hui de voter à reculons pour des coalitions « républicaines » en priant pour que l’extrême-droite ne passe pas les portes du pouvoir, mais de casser le jeu de la Vè République qui permet au PS de persévérer dans son existence et au FN de prospérer. Car ces phénomènes sont les deux faces de la même pièce et s’entretiennent l’un l’autre. Depuis 1981, les inégalités de revenus sont à la hausse, la précarisation du travail, avec l’explosion du temps partiel, des CDD, de l’intérim etc. s’accroît, en particulier chez les jeunes, et le chômage de masse se maintient.

Tout ça ne constitue pas seulement des concessions faites au « réalisme » qui s’imposerait à des socialistes bien intentionnés, forcés de transiger avec la mondialisation et d’en suivre le mouvement en proposant quelques correctifs de justice sociale pour donner le change. Il s’agit d’un accompagnement volontaire et d’une normalisation de l’économie française sur les standards néolibéraux adoptés par les pays développés depuis les années 1980. Plutôt que de constituer une force de progrès et de résistance à la violence des processus économiques, le PS est un agent d’adaptation et de conservation. Si notre cadre démocratique actuel ne permet d’opposer à la droite traditionnelle que sa doublure social-démocrate PS, cela ne signifie pas que nous devons voter PS mais plutôt que le cadre est à refaire.