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Privilège, n.m. : à l’origine, le terme « privilège » désigne un avantage obtenu par naissance ou par faveur royale sous l’Ancien Régime, à usage exclusif de la noblesse. Désormais, « privilège » est un terme politico-médiatique permettant de désigner les compensations obtenues par des travailleurs ouvriers ou employés au cours de décennies de lutte pour faire face à la difficulté de leurs conditions de travail. « Les cheminots sont des privilégiés ! » « en France les salariés sont privilégiés : ils ont des congés payés alors qu’au Bangladesh non et personne ne râle » « Les taxis sont des privilégiés empêtrés dans leur corporatisme » « les chômeurs français sont privilégiés par rapport aux Allemands ».

Tuto : comment distinguer un noble privilégié de l’Ancien régime d’un ouvrier privilégié de 2019 ?

Pour Laurent Alexandre, chroniqueur au Monde, à L’Express et au Huffington Post, chirurgien-urologue de son état, ce n’est pas évident : selon lui, un ouvrier de 2019 vit mieux que Louis XIV. Donc on vous aide à y voir plus clair :  

  • Les  privilèges des nobles de l’Ancien Régime venaient s’ajouter à la somme d’avantages déjà monopolisés par eux comme la possession de terres, l’accès à la santé et de sacrés beaux châteaux. En fait, si vous voulez, c’est comme pour les avantages fiscaux des bourgeois de nos jours – flat tax, suppression de l’ISF… – qui viennent s’ajouter à leurs revenus élevés, leurs bonnes écoles et leurs bonnes assurances. A contrario, les « privilèges » des ouvriers d’entreprises publiques comme la SNCF ou la RATP viennent compenser les désavantages de leur profession : une espérance de vie inférieure à celle de la moyenne de la population, du travail en 3×8, la peur de l’accident, le travail de nuit et un management agressif qui conduit nombre d’entre elles et eux au suicide.
  • Les avantages d’un noble de l’Ancien régime s’obtenaient par la naissance ou par une grande révérence à l’égard du pouvoir en place ; pour que vous compreniez bien, c’était un peu comme les avantages scolaires, culturels, financiers et fiscaux d’un bourgeois de nos jours qui s’obtiennent par naissance ou par connivence politique et sociale ! A l’opposé, les « privilèges » des ouvriers d’entreprises publiques et de certains secteurs comme l’automobile, la banque ou la sidérurgie ont été obtenus par organisation collective centenaire, âpres luttes provoquant la mort de milliers de camarades, participation active à la Résistance pendant la seconde guerre mondiale, grèves occasionnant des jours sans salaire, affrontements avec la police et les milices patronales. 

Astuce : C’est pour ça que le mot réel pour « privilège » est « conquête sociale », car ça n’est pas tombé tout cuit dans le bec, contrairement aux avantages des nobles de l’Ancien régime (et des bourgeois de nos jours).

Les avantages du terme « privilège » tel qu’il est utilisé par les bourgeois sont pour eux les suivants :

Il permet de détourner un terme qui ne désigne en réalité qu’eux – des avantages obtenus dès la naissance ou par collusion avec le pouvoir, et qui s’ajoutent à une condition de vie bonne et déjà avantageuse, ça vous évoque qui d’autre ? – vers des boucs-émissaires utiles et affaiblis.

Il permet de faciliter la privatisation des entreprises publiques en accusant la main-d’œuvre d’être à l’origine de leurs difficultés financières et opérationnelles.

Il permet de diviser la classe laborieuse en désignant en son sein un groupe « privilégié » vers lequel se dirige la colère des autres. C’est oublier qu’au sein de la classe laborieuse, on est tous le privilégié de quelqu’un car on fait tous partie d’univers professionnels dont les membres ont dû lutter un jour ou l’autre pour améliorer leurs conditions, sans que cette amélioration ne s’applique à tous les autres secteurs en même temps.

– Demain quand vous obtiendrez enfin le paiement de vos heures sup, et que les collègues de la crémerie d’à côté n’en bénéficieront pas, vous serez un.e privilégié.e, selon la définition bourgeoise. Le terme « privilège » empêche le combat social et la justice au travail.

Nota bene :

Le terme « privilège » est à nouveau utilisé dans son sens véritable, pour désigner par exemple l’ensemble des avantages obtenus à la naissance du fait de son genre (« privilège masculin ») ou de sa couleur de peau (« privilège blanc »). 

Il serait bien que pour rétablir définitivement le terme dans son juste sens, les avantages obtenus à la naissance du fait de sa classe sociale soient nommés ainsi : privilèges bourgeois, j’écris ton nom. 

On doit aussi considérer l’existence d’un privilège médiatique, ou l’avantage de pouvoir dire ce qu’on veut à la télé ou la radio sans rien connaître de la situation dont on parle.

Petit exercice :

Quand un éditocrate dit en direct sur BFM-TV ou LCI : « Les cheminots sont des privilégiés, ils partent à la retraite plus tôt alors que conduire un train c’est simple comme bonjour », il utilise son privilège bourgeois ou son privilège médiatique ? 

Réponse : Les deux, saupoudrés du privilège de la connerie.