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Chez Frustration, s’il y a bien une personne qui nous inspire et nous a inspiré, c’est la sociologue Monique Pinçon-Charlot. Des Ghetto du Ghota en 2007 aux Présidents des ultra-riches en 2018, ses ouvrages, co-écrits avec son mari Michel, nous ont accompagné tout le long de nos parcours universitaires et engagés respectifs. Lorsqu’elle raconte son histoire de chercheuse avec son mari au CNRS, elle ne peut s’empêcher d’en parler d’une voix tremblotante. Ses yeux pétillent remplis d’ésperance quand elle évoque son expérience du mouvement insurrectionnel des gilets jaunes avec Michel posté sur les barricades. Evidemment, cela ne l’empêche pas de mâcher ses mots lorsqu’il s’agit de décrire la marche forcée néo-libérale que nous subissons de plein fouet ou de se montrer plutôt critique à l’encontre d’un marché du militantisme qui se complairait dans ses certitudes et ses acquis de niche, en pleine mobilisation contre la réforme des retraites. Deuxième partie de notre entretien (la première partie est ici), par Selim Derkaoui et Nicolas Framont. Portrait photo par Maxime Dufour. Photos en noir et blanc par Serge d’Ignazio.

N : En termes de classes sociales, il y a le groupe des ultra-riches. On voit comment il fonctionne, par quels canaux ils influencent. Mais il y a tout un groupe sous les riches et les ultra-riches qui, quand même, fait le travail pour maintenir leur domination. Comment vous le distinguez, ce groupe ? On voit bien quel est l’intérêt des ultra-riches et des riches. Au milieu, il y a cette espèce de classe, pour lesquels les vocables ne sont d’ailleurs pas toujours clairs. Les gens disent “classe moyenne supérieure”, moi je dis la bourgeoisie au sens large, on va dire la moyenne bourgeoisie. Comment la définirais-tu ?

M : La vraie fracture, le vrai rideau de fer, c’est entre ceux qui détiennent les titres de propriété et les autres. Les  traders, les banquiers, les salariés de très haut niveau, ce sont en quelque sorte leurs domestiques, leurs chiens de garde. Ils ont le même statut que les journalistes qui servent la soupe du néo-libéralisme. 

S : François Bégaudeau l’a décrit dans « Histoire de ta bêtise” : c’est la bourgeoisie culturelle de gauche, qui n’a pas forcément les capitaux économiques mais culturels. Et c’est elle aussi qui permet que la jonction ne se fasse pas entre eux et les ouvriers/employés, les couches populaires.

M : C’est vrai, on a déjà parlé des « journalistes » mais il y a aussi un problème avec les intellectuels et les sociologues beaucoup trop nombreux à avoir renoncé aux analyses en termes de classes sociales. Mais on peut espérer un basculement, à l’heure du dérèglement  climatique, qui pourrait entrainer les gens de la finance,  et bien d’autres, comme des hauts fonctionnaires, des intellectuels et tous ceux qui  ne font pas partie de cette classe oligarchique. Notre intérêt, en tant que sociologues et en tant que militants, c’est évidemment de favoriser cette solidarité anti-oligarchique.

S : Mais est-ce que ça marche et est-ce que c’est possible ?

M : Je pense que c’est possible. L’un de mes indicateurs est le succès de nos conférences dans les grandes écoles, organisées par des étudiants des IEP en province, l’ENSAE sur le plateau de Saclay, à la Sorbonne ou dans les classes préparatoires du lycée Lakanal à Sceaux dans les Hauts-de-Seine, et à chaque fois il y a eu un accord sur le fond de notre constat d’une guerre de classe qu’une petite oligarchie mène contre les classes salariées, populaires moyennes et supérieures. Je pense vraiment qu’il faut travailler main dans la main avec ceux qui ont fait de brillantes études et qui sont très inquiets. Le dérèglement climatique  va permettre cette solidarité et peut-être de mettre à bas le système capitaliste incompatible avec la survie de tous.

On était captivé

Contrairement au Parti communiste, à la CGT, même peut-être au NPA ou à Lutte Ouvrière, dès la première manifestation, les gilets jaunes sont allés directement sur les lieux du pouvoir pour indiquer qu’il s’agissait d’une révolte populaire

N : Est-ce qu’il y a une remontée de la conscience de classe de la part du reste de la population, de conscience de la lutte des classes, de conscience de l’existence de ces riches ?

M : Le principal indicateur c’est le surgissement du mouvement des gilets jaunes. On aurait fait cet entretien il y a un an pile, je n’aurais pas eu de réponse à cette question, j’aurais dit que la propagande néo-libérale était trop forte, qu’on était foutus. En participant aux manifestations des gilets jaunes, nous avons été surpris par la conscience de la violence des rapports de classe que nous pensions devenue impossible, compte tenu des manipulations en cascade dont sont victimes ceux et celles qui n’ont pas les moyens de lire et d’avoir accès au savoir.

N : On a vu les gilets jaunes saccager une partie du 8e arrondissement de Paris. Est-ce que ça n’illustre pas une forme de haine des riches (ce qui ne nous pose pas spécialement problème) ? 

M : Ce n’est pas une haine des riches, c’est une conscience de classe, c’est-à-dire une démarche profondément anticapitaliste et pas sur le registre de la psychologisation du social. Mais eux, contrairement au Parti communiste, à la CGT, même peut-être au NPA ou à Lutte Ouvrière, dès la première manifestation, ils sont allés directement sur les lieux du pouvoir pour indiquer qu’il s’agissait d’une révolte populaire.

S : Et pourquoi eux et pas les autres ?

M : Parce qu’ils étaient dans la fraîcheur de leur conscience de classe. Leur mouvement n’était pas encore institutionnalisé, donc sans autre enjeu que de se retrouver sur les ronds-points dans l’émerveillement d’une solidarité sans hiérarchie et drôlement roborative. Les gilets jaunes étaient en quelque sorte hors du marché de la contestation sociale tel qu’il s’est institué, notamment après la seconde guerre mondiale.  Avec des syndicats, des partis politiques des associations multiples, des journaux, des écrivains, des sites, des blogs sur internet etc…qui se sont peu à peu intégrés et institutionnalisés dans une opposition au système capitaliste qu’ils revendiquent contester, sans toujours se rendre compte qu’ils aident indirectement les capitalistes à rebondir de leurs échecs et à affiner l’exploitation du travail grâce aux critiques sociales. Cela me fait penser à la déclaration d’un conseiller spécial de Georges W Bush à La Maison Blanche, Karl Rove, lorsqu’il a déclaré, en 2004, à un journaliste de Wall Street Journal : « Nous sommes un empire maintenant et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité, judicieusement, comme vous le souhaitez, nous agissons à nouveau et nous créons d’autres réalités nouvelles, que vous pouvez étudiez également, et c’est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l’Histoire (…) Et vous, vous tous, il ne vous reste qu’à étudier ce que nous faisons. » C’est glaçant mais tellement vrai !

Si je prends l’exemple de la fraude fiscale, qui est un sujet très documenté, avec plein d’intellectuels, de politiques, de fonctionnaires qui travaillent dessus : eh bien, plus tu travailles sur la fraude fiscale, plus la fraude fiscale s’opacifie. En réalité, tu aides ceux qui fraudent à toujours mieux frauder. Nous mêmes nous avons peut-être contribué à légitimer les familles les plus fortunées. Par contre, là où on les dérange, c’est quand nous partons dans tous les coins de France pour transmettre les connaissances que nous acquises grâce à notre statut de chercheur au CNRS. Les gilets jaunes et de très nombreux militants nous disent que nos recherches les aident. La vulgarisation des critiques concernant les turpitudes de la classe des capitalistes est une des manières de ne pas se faire récupérer.

S : Ce qui contribue à transformer les connaissances en actes ?

Oui car c’est ainsi que la fraîcheur de la révolte des gilets jaunes les a affranchis de la courtoisie militante en leur donnant le courage d’attaquer le pouvoir là où il est, jusqu’à faire fuir Benjamin Griveaux de son ministère par une petite porte dérobée, pour se retrouver rue de Grenelle et demander asile à Edouard Philippe qui travaillait dans son bureau de l’Hotel Matignon ! Tout ça est quand même drôlatique. Et c’était quoi qui leur a permis de pénétrer dans l’hotel de la rue de Grenelle où se trouvait Benjamin Griveaux avec des journalistes du  magazine du Monde? Juste un engin de chantier, conduit par un gilet jaune, qui a enfoncé la porte, et voilà. Dès le premier acte des gilets, Macron a été leur cible privilégiée. 

Et pourquoi je dis que les gilets jaunes sont bien dans la lutte de classe ? Parce que souvent, il y a eu des militants politiques ou des syndicalistes qui disaient : « Mais ils ne s’en prennent pas à leurs  patrons, ils ne se mettent pas en grève dans leurs entreprises, ils ne sont pas dans le rapport capital/travail ». Eh bien cela n’est pas exact, parce que le rapport capital/travail a beaucoup changé. Nous ne sommes plus dans la phase du capitalisme industriel de type paternaliste avec le face à face visible entre le patron et les ouvriers. Aujourd’hui, le capitalisme s’est collectivisé dans un actionnariat invisible, de sorte qu’aux yeux du peuple et à juste titre, le capitaliste  en chef, c’est Macron. C’est lui qui est le fondé le pouvoir de l’oligarchie, c’est lui qui organise la destruction d’un Etat qui était au service des travailleurs, de la solidarité, avec la Sécurité Sociale et l’ensemble des services publics. Macron a été  en effet chargé par les puissances d’argent d’achever la mise en place d’un  Etat néo-libéral au service des plus riches. Et cette révolution ultra  conservatrice est maquillée par le “progressisme” de la Grande Marche en Avant !

La désobéissance civile pour alerter sur la gravité du dérèglement climatique fait fi du calendrier néolibéral des échéances électorales et de la pseudo-démocratie représentative, nécessaire à l’Etat néolibéral pour poursuivre sa guerre de classe pour défendre l’intérêt des plus riches

S : La rentrée sociale est assez importante, avec la réforme des retraites et la réforme de l’hôpital public par exemple. Malgré justement la fraîcheur des gilets jaunes, j’ai un peu peur qu’on revienne un an en arrière, quand tout le monde militait dans son coin, comme s’il ne s’était rien passé entre temps. Quel héritage peut-on espérer avoir des gilets jaunes et de leur manière d’envisager le rapport de force ?

M : Les gilets jaunes n’ont pas cette responsabilité de l’héritage, ils font partie de notre combat, ils font partie de ce qu’on peut appeler le marché de la contestation sociale, et ce sont toutes les forces sociales et politiques qui doivent s’engager en toute conscience dans la guerre de classes. Les gilets jaunes ont été blessés par des armes létales, avec mutilation de leurs yeux, de leurs mains ou de leur mâchoire. Il y a eu un nombre de blessés important. Nous-mêmes pour avoir participé aux manifestations,  on a parfois vraiment eu peur à cause des masses impressionnantes de policiers et de gendarmes en tenue de combat. Hélicoptères, chars d’assaut, boucliers, armes diverses, LBD 40, Gaz lacrymogènes particulièrement nocifs, étaient la confirmation que l’Etat défendait les intérêts des habitants des beaux quartiers qui sont incompatibles avec les revendications des gilets jaunes et de tous ceux qui les ont rejoint dans ces manifestations historiques de l’hiver 2018-2019. 

Alors, pour rebondir sur ta question, il y a en France des tas de formes de contestation contre les capitalistes, mais qui sont mal et peu relayées par les grands médias puisque les capitalistes en sont les propriétaires. Demain, nous irons au procès de 9 décrocheurs de portraits de Macron dans les mairies. Ils comparaitront  devant la 33è chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour « vols en réunion ». Une table ronde est organisée par ANV COP21 sur la légitimité de la désobéissance civile face à l’urgence climatique et sociale, non violente et assumée car les portraits sont décrochés à visage découvert et photos à l’appui. Ces militants donnent l’exemple d’un grand courage car ils doivent affronter des procès et les risques de sanctions. Ces décrocheurs inscrivent leur combat dans une forme de résistance qui ne peut être stigmatisée de populiste, car les acteurs de cette désobéissance sont pleinement conscients de leur responsabilité et des risques encourus. Il n’y a donc pas de remise de soi à un quelconque leader en quête de voix pour sa carrière politique. La désobéissance civile pour alerter sur la gravité du dérèglement climatique fait fi du calendrier néolibéral des échéances électorales et de la pseudo-démocratie représentative nécessaire à l’Etat néolibéral pour poursuivre sa guerre de classe pour défendre l’intérêt des plus riches.

Si la désobéissance civile pouvait être reconnue légitime par le plus grand nombre, y compris les magistrats et les forces de l’ordre, il me semble qu’un pas important aurait été franchi pour mettre à mal ceux qui sont en train de détruire la planète et de menacer l’avenir de l’humanité avec le dérèglement climatique. Car les capitalistes avec l’évolution des technologies dans les domaines de l’informatique, de la robotique ou de l’intelligence artificielle, n’ont plus besoin de la moitié la plus pauvre de l’humanité qui constitue pourtant des bouches à nourrir. Le dérèglement climatique, par l’imbrication de toutes les inégalités sociales et économiques qu’il réalise, constitue, pour tous ceux qui souhaitent la solidarité entre les humains, un rendez-vous avec l’Histoire, un vrai rendez-vous comme jamais, jamais ça ne s’est produit, même pendant la seconde guerre mondiale !

S : Pourquoi ?

Car avec les bouleversement induits par l’atroce crise écologique qui est déjà là mais n’est due qu’à la folle recherche des profits par une toute petite minorité affamée d’argent, ce seront des centaines de millions, voire des milliards d’êtres humains, parmi les plus pauvres qui risquent de mourir. Jamais nous n’aurions pu imaginer un tel rendez-vous avec une telle violence de la part d’une classe sociale solidaire dans la défense de ses intérêts à l’échelle mondiale. Face à cela les égos surdimensionnés des hommes politiques qui prétendent représenter le monopole de la contestation contre Macron,  fondé de pouvoir de l’oligarchie, n’ont plus aucune légitimité à mes yeux. L’humilité doit être notre dignité, la solidarité, notre force, le respect des différences de sensibilité, notre seul credo. La contestation doit prendre des formes différentes, ce qui est normal. Seule la solidarité permettra de les fédérer. Que les spécialistes de la démocratie pseudo-représentative, nécessaire pour l’acceptation de la violence du néolibéralisme, fassent leur boulot en se battant pour la reconnaissance du vote blanc dans les suffrages exprimés, voire pour les prochaines municipales en créant des communes libres et autogérées ! Il faut  que chacun trouve sa place dans un combat collectif qui fédère les initiatives, sans avoir pour seul centre d’intérêt de gagner des élections dont les résultats, s’ils ne sont pas conformes aux intérêts des oligarques, ne seront pas respectés comme ce fut le cas avec le référendum de 2005. Imitons les riches qui eux son solidaires !   

N : Comment le changement doit-il se faire ? Peut-on encore compter sur la politique institutionnelle, malgré toutes nos déconvenues ? Les partis de gauche radicale sont-ils assez vindicatifs pour mener ce combat ?

M : Pour lire L’Humanité et L’Humanité Dimanche régulièrement – je ne me prononce pas sur la France Insoumise – je pense qu’il y a un changement considérable. Dans les éditoriaux de Patrick Le Hyaric ou les manifestations avec les communistes, il y a aujourd’hui des slogans anticapitalistes. A Arras le 1er mai dernier, où nous étions présents pour le salon du livre de Colères du présent, la manifestation qui regroupaient toutes les sensibilités de la gauche dont   des communistes aux slogans anticapitalistes, vraiment assumés. Nous sommes allés les voir en leur disant : « Nous avons assistés à 5 ou 6 manifestations à Arras le 1er mai, mais c’est la première fois que nous entendons des slogans anticapitalistes. ». Le militant nous regarde droit dans les yeux : « Ben oui vous avez tout compris, avant on n’osait pas le dire, maintenant, ça y est. »

Un marché de la contestation sociale contribue à permettre au système capitaliste de rebondir en intégrant, dans sa logique propre, la critique sociale. Les marxistes qui disaient que le capitalisme s’effondrerait de sa belle mort  avaient tort car ce qui est fascinant, c’est au contraire la façon dont les capitalistes se nourrissent de la critique pour mieux rebondir

N : Tu étais invitée à l’université d’été du Medef. C’était comment ?

M : Pourquoi ai-je été invitée à participer à une table ronde  avec Laurent Dassault, un autre grand patron issu de l’immigration, le vice-président du MEDEF, la secrétaire d’Etat à l’économie et aux finances à Bercy, un journaliste de Radio Classique, la radio dont le propriétaire est la première fortune de France, Bernard Arnault. J’étais la seule avec des idées en contradiction complètes avec les 5 autres participants à cet échange matinal. 

L’invitation était généreuse avec taxi depuis Bourg La Reine jusqu’à l’hippodrome de Longchamp dans le 16è arrondissement,  petit déjeuner commun pour mettre au point le déroulé de la table avec l’engagement du journaliste chargé de l’animation du même temps de parole pour chacun ( engagement respecté) Lorsque ce fut mon tour de parole, j’ai tenu les mêmes propos que ceux que je vous tiens avec ce long entretien pour Frustration. Je sentais des réactions mitigées dans la salle, mais avec un effet de surprise face à la franchise de mes propos en décalage complet avec les « entrepreneurs » qui constituaient la majorité du public. Mais finalement les quelques applaudissements ou compliments qui m’ont éré adressés saluaient plus mon courage que l’intérêt de mes propos ! Cette invitation s’inscrivait dans un contexte de manipulations idéologiques diverses des puissants mettant en scène leur volonté de lutter contre les inégalités. Je l’ai accepté, comme nous l’avons toujours fait Michel et moi, en cherchant le plus de contacts possibles avec les dominants pour tout simplement poursuivre notre travail de sociologues sur la violence des rapports de classe.

Est-ce qu’ils étaient un peu inquiets du contexte ?

M : Très ! En effet, leur mise en avant de la lutte contre les inégalités est bien un indicateur de leur inquiétude !

Il faut donc calmer la colère du peuple.  Il y a donc eu l’intervention de Macron en juin 2019, à l’ Organisme International du Travail (OIT)  où il a dit que le capitalisme est devenu fou et les inégalités abyssales.  Il y a eu l’université d’été du MEDEF dont le thème était une réflexion sur la lutte contre  les inégalités, le G7 à Biarritz prétendait également faire de même. L’initiative de 34 multinationales qui ont donné un milliard de dollars pour la planète, à l’initiative du  PDG de Danone a confirmé une inquiétude, d’ailleurs tout à fait justifiée.

Je voudrais redire l’importance qu’a pour nous cette idée d’un marché de la contestation sociale qui contribue à permettre au système capitaliste de  rebondir en intégrant, dans sa logique propre, la critique sociale. Les marxistes qui disaient que le capitalisme s’effondrerait de sa belle mort  avaient tort car ce qui est fascinant, c’est au contraire la façon dont les capitalistes se nourrissent de la critique pour mieux rebondir. Et là, ils sont en train de se nourrir du dérèglement climatique qu’ils ont provoqué, dont ils sont les responsables, pour rebondir dans un capitalisme qui va être débarrassé de 3 milliards 500 millions d’êtres humains parmi les plus vulnérables et les plus pauvres. On ne peut pas laisser faire ça, c’est un crime contre l’humanité, c’est un crime contre la nature, c’est un crime contre le vivant.

N : Par rapport au marché de la contestation, tu disais qu’on en fait partie. Mais du coup, il faudrait qu’on travaille à en sortir ?

M : À en parler déjà du moins, c’est déjà bien ! Ne pas se prendre pour des militants, des révolutionnaires alors qu’en réalité, mais sans en avoir conscience, on contribue malgré nous, avec la participation à des élections dont les puissants contrôlent tous les rouages et toutes les roueries, avec l’écriture de livres sur la prédation des richesses et des pouvoirs par une petite oligarchie, avec des articles, des émissions, des journaux , des éditeurs qui contestent sans relâche un système inique dont nous ne viendrons à bout que si nous y associons d’autres formes de lutte comme la désobéissance civile. Si possible non violente, car elle serait partagée par le plus grand nombre, de manière collective, solidaire et à la hauteur de l’enjeu de la mort des plus pauvres avec le dérèglement climatique entretenu par les puissances d’argent.

Dernier ouvrage paru avec Michel Pinçon ; Le Président des ultra-riches, chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron, Zones 2019.

A paraître le 8 novembre aux éditions La Ville Brûle, avec Michel Pinçon et Etienne Lécroart, Kapital, qui gagnera la guerre des classes ?, le premier jeu de sociologie critique.