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À la montée de la défiance, les élites répondent par la transparence – Une mini-série en quatre épisodes

Il est aujourd’hui courant de croiser un journal titrant sur la crise qui affecte la « démocratie » française : une « crise de confiance ». Les médias s’affligent que les affaires d’abus de biens ou de détournements de fond à répétition défigurent toujours plus l’image de notre personnel dirigeant. Ils pointent qu’en attendant l’extrême-droite récupère les pots cassés en sifflant le vieux refrain du « tous pourris ». La réponse envisagée par les politiques au pouvoir, secondés par la société civile, est alors la suivante : le « principe de transparence ».

Épisode 1 : Que cachent les diagnostics de « montée de la défiance » ?

 

LA RÉPUBLIQUE EN PÉRIL

Commençons par un rapide tour d’horizon des autorités représentatives : intellectuelle (idéologique), parlementaire (politique), syndicaliste (sociale), qui analysent la montée de la défiance des gouvernés envers leurs gouvernants et leurs politiques.

L’historien Michel Winock, durant la récente commission parlementaire « L’avenir des institutions » qu’il préside en sa qualité de spécialiste de l’histoire de la République Française, rappelle qu’en 2011 62 % des Français sondés éprouvent « méfiance et dégoût » pour la politique, contre 33 % en 1988. Il ajoute qu’en décembre 2011, un sondage révélait que 72 % des Français estimaient que la plupart des responsables politiques étaient « plutôt corrompus » et que ce chiffre était le plus élevé de ceux enregistrés depuis 1977.

Le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, à l’origine de cette « mission » de réflexion, répond à l’introduction de Michel Winock et fait la synthèse : « Au fond, les démocraties représentatives font face à deux défis majeurs : une crise de la représentation et une crise du pouvoir lui-même qui ne semble plus être en mesure d’influer sur le réel. » Le syndicaliste Bernard Thibault, lui aussi convié à la réunion, après avoir critiqué la disparition de la représentation sociale des prud’hommes organisée par la « loi Macron », estime quant à lui nécessaire de préciser : « il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur les élus actuels ».

Feutrée et policée, cette commission parlementaire a beau essayer de se poser les bonnes questions, se rendre publique sur le site internet de l’Assemblée nationale et la chaîne télévisée parlementaire, elle peine à dépasser les contradictions de ses propres membres et la rupture consommée avec le citoyen. Pour commencer, pourquoi Bernard Thibault prend-il des pincettes ? Hypothèse : nous sommes le 19 décembre 2014, après un mandat de 14 années de bons et loyaux services, Bernard Thibault pense à son successeur à la tête de la CGT, Thierry Lepaon, depuis quelques mois dans la tourmente de la révélation de ses indemnités de départ de la section Basse-Normandie (100 830 euros) et de la rénovation de son bureau (62 000 euros environ), dont il ne démissionne, contraint et forcé, qu’en janvier 2015.

Bernard Thibault signe donc le mot d’excuse que glisse le plus haut parlementaire de la République dès le préambule de la commission en posant l’impuissance politique de sa classe. En retour, Claude Bartolone autorise l’hypocrisie ou la compromission du syndicaliste qui critique, sans dépasser les bornes du convenu, afin d’éviter peut-être qu’on sorte ses propres cadavres du placard. Charmante ménagerie qui s’interroge sur la montée de la défiance, et encore, les parlementaires UMP ont refusé d’y participer.

Ce que Claude Bartolone oublie de rappeler, c’est que l’impuissance du politique à influer sur le réel, la vieille rengaine de pauvres biquets qui ne peuvent pas grand-chose, est bien utile. Elle sert en effet à déresponsabiliser les gouvernants quand les résultats ne sont pas là. Tout se passe toujours ailleurs, ils n’y peuvent rien, c’est bien connu. Mais elle sert aussi par contraste à autoriser toutes les réformes « nécessaires » qui brusquent la population et les parlementaires. Aux mouvements sociaux, les gouvernements répondent que ce n’est pas la rue qui gouverne et lui envoient les cordons de CRS. Quant aux « frondes » des élus qui osent critiquer (un peu) des projets de lois, le gouvernement répond qu’il n’a pas le temps, que le réel n’attend pas.

Deux exemples récents de cet autoritarisme du régime. Le cas du « Pacte de Responsabilité » et ses milliards d’euros ; le gouvernement Ayrault-Valls exige une « seconde lecture » qui impose de voter oui ou non la loi dans sa forme initiale, sans tenir compte des discussions et des propositions d’amendements qui souhaitaient au moins obtenir quelques garanties. Et dans le cas de la « loi Macron », le gouvernement Valls 2 passe carrément en force en ayant recours à l’article 49-3 de la Constitution qui permet de contourner l’Assemblée nationale. Alors même que Hollande qualifiait en 2006 cette dernière pratique de « déni de démocratie », nous public, il faudrait saluer le courage politique de jeunes boucs qui, au contraire des « nuls » et des « mous », eux, au moins, influent sur le réel, en mettant leur responsabilité sur la table ? Ce qui compte, c’est qu’en même temps, on prend tous conscience d’une chose : les dirigeants peuvent tout à fait influer sur le réel mais ne peuvent que quand ils le veulent.

Ce que Michel Winock oublie de pointer dans son constat objectif, est un criant paradoxe qui pose les termes de la crise actuelle. La méfiance et le dégoût des Français pour la politique et ses représentants a doublé entre 1988 et 2011, alors que la première loi de transparence était votée le 11 mars 1988. Michel Winock, en dépit de quelques euphémismes de rigueur, reformule pourtant les choses clairement : « Les élus, les gouvernants, les parlementaires et les ministres apparaissent de plus en plus comme une oligarchie qui se perpétue par endogamie : énarques, anciens élèves des grandes écoles, anciens assistants parlementaires… Les chiffres parlent d’eux-mêmes : aujourd’hui l’Assemblée compte 2 % de députés issus des classes populaires, employés et ouvriers. » Mais il ne s’agit pas de désavouer ces élus qui « apparaissent » comme une oligarchie (c’est une impression), autrement dit le pouvoir du petit nombre, contraire donc à la démocratie, qui veut dire pouvoir du peuple et République qui veut dire chose publique.

Le premier constat est que la transparence n’annule pas la défiance. Et pour cause, on a beau saluer les personnalités politiques qui mettent les mains dans le cambouis, « ils font quelque chose au moins », on se rend ensuite compte que leurs mesures ne vont presque jamais dans le sens de nos intérêts et que leur politique reste la même qu’on vote contre ou pour. Au-delà du personnel politique, la rupture se situe donc entre la situation de la majorité des gouvernés et la manière dont les gouvernants y répondent, en trahissant leurs promesses de campagne et leur pouvoir reçu en délégation, ce qu’autorisent et facilitent les règles de la Vème République. Joli constat mais rien à faire, de telles considérations n’ont pas voix au chapitre de l’autocritique. Car, dressez le chapiteau, prévenez l’orchestre, le mot d’ordre des institutions est en réalité tout autre.

 

LE PEUPLE, VOILÀ L’ENNEMI !

Défiance, on prescrit à cette pathologie dite démocratique le remède miracle : plus de transparence et plus de déontologie. Mais si nous avons le malheur d’être défiants, pour qui nous prend-t-on ? Regardons maintenant du côté des grands médias.

La parade des éléphants face à la défiance. Après analyse dans les dossiers des rédactions, le mal viendrait de plus loin. Selon eux, les gens ont beau être de plus en plus informés, connectés, smartphonés, au courant de la réalité et de l’actualité incontournables, la « Démocratie » s’enfonce dans la crise, à tel point qu’elle paraît s’y identifier. Car la confiance dans les élites de la République en France n’augmente toujours pas. Pourquoi donc, s’interrogent les éditorialistes de Laurent Joffrin à Franz-Olivier Giesbert ? Leur réponse est unanime. Il n’y a pas de paradoxe, c’est une tare congénitale ; en France : « les gens sont cons ».

Le point Godwin des années 1920-30. Aujourd’hui, si quelqu’un ose critiquer en règle la classe politique et économique pour lui imputer la responsabilité des maux du peuple, les grands médias, intellectuels et consultants, lui rétorquent : « Attention, les gens sont cons et votre défiance accrédite la ”fameuse thèse du tous pourris” et cette idée est la pire expression de la ”démagogie-et-du-populisme” ”rances-et-nauséabonds”, bref de la rhétorique ”des-années-1920-30” ». À la manière d’un des historiens sociologues attitré du journal Le Monde Pierre Birnbaum par exemple, la majorité des experts qui font autorité en la matière ne voit aucun problème à mélanger dans cette époque épouvantail : la désignation par le Front Populaire des « 200 familles » qui tiennent le pays par leur pouvoir économique en empêchant tout progrès social d’un côté, et la dénonciation antisémite de la « ploutocratie juive » par l’extrême-droite de l’autre.

Message subliminal. Car les médias, ces réverbères de la République, ont en principe pour mission d’éclairer, d’informer les citoyens, bref de fournir la transparence. Sauf qu’ils le font contre la transparence qui dévoilerait leurs propres intérêts, ceux des grands industriels et des grands patrons qui les financent, et forcément contre les liens d’intérêts de ces Dassault, Arnault et autre Pinault avec les politiques au pouvoir. Leur communiqué est clair : « Vous vous défiez mais vous n’êtes quand même pas assez cons pour vouloir revenir aux années 1920-30, à cette HAINE ? ». Sommation implicite de ces cerbères de boudoir : « Public, aie confiance, vive l’Union nationale ! »

Avertissement au public : « vous doutez donc vous êtes cons ». Vulgarisée, c’est la réponse quasi unanime à l’actuelle « défiance » du peuple envers ses élites dirigeantes. Les analyses se bousculent en effet au portillon pour prouver que la rumeur, la superstition et le complotisme régneraient parmi le peuple crétin. Alors qu’il devrait raisonnablement abandonner ses doutes devant la vision du monde structurée et rationnelle que lui fournissent les autorités existantes. Ainsi, le grand spécialiste de ces dérives, de ces fantasmes populaires de factions occultes aux commandes, fréquemment invité dans les colonnes de nos journaux, Gérald Bronner nous renvoie-t-il vers les Médias, la Science, la Politique et l’École.

Votez, consommez, sang contaminé, amiante, risques nucléaires, nano-technologies, emplois fictifs, financements de campagnes occultes, frauduleux mais validés, comptes en Suisse, relaxes et acquittements : « Ayez confiance les gens ». Votez, consommez, car la défiance, telle qu’en parlent les médias, aboutit toujours à ce non-choix entre l’ordre établi (UMP et PS) et le parti du retour à l’ordre (FN). La peur de l’un profite à la peur de l’autre et vice et versa. Il n’y a pas d’issue.

Au prochain épisode…
À quoi pensent nos dirigeants quand ils parlent de transparence ?
À qui s’adressent vraiment les diagnostics sur la défiance des Français