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Le récit. En marche ! est né du désir d’Emmanuel Macron de donner un nouveau cap à la France, pour la sortir des blocages et « rendre à l’ensemble des Français la place qui n’aurait jamais dû cesser d’être la leur : non pas dans le décor de la vie politique, mais en son cœur » (en-marche.fr). Pour ça, le mouvement compte sur les dons des dizaines de milliers d’adhérents et Macron va « s’endetter personnellement » pour financer sa candidature et « il pourrait tout perdre » (Closer, décembre 2016). Mais c’est le prix à payer pour être indépendant des chapelles et des vieux clivages.

La réalité. Au moment où les statuts ont été déposés, le siège social d’En marche ! était situé au domicile personnel de Laurent Bigorgne, ex-numéro 2 de Sciences Po Paris et directeur des études de l’Institut Montaigne, think tank libéral présidé par les patrons du groupe Axa, Claude Bébéar puis Henri de Castries. Henri de Castries soutient Fillon, tandis que son adjoint Bigorgne soutient Macron. Mais ce n’est pas tout.

En mai, à Londres, Christian Dargnat, qui dirige l’association de financement du parti et qui est l’ex-PDG de BNP Paribas Asset Management, la filiale de gestion d’actifs du groupe BNP, a organisé avec le candidat des dîners de levées de fonds auprès des milieux d’affaires, pour recueillir de ses riches soutiens le maximum autorisé par la loi : 7 500 € par personne. En septembre, c’est Albin Serviant, le PDG de Apartager.com, qui organise la même initiative auprès des patrons de la « French Tech » – ce label, promu par Macron du temps où il était ministre de l’Économie, désigne l’ensemble de ces patrons français du numérique qui basent leurs entreprises à Londres pour payer moins d’impôts sur les sociétés. Pour remercier un ministre qui n’a pas vu le moindre problème moral à cet exil fiscal institutionnalisé, ils ont signé pas mal de gros chèques lors d’un petit déjeuner et de plusieurs rencontres. Dans leur livre Dans l’enfer de Bercy, les journalistes Marion L’Hour et Frédéric Says rapportent les propos anonymes d’un haut gradé de son ministère qui l’accuse, après sa démission, d’être « parti en emportant les fichiers de la French Tech ».

Début décembre 2016, même opération lors d’un séjour du candidat à New York, organisée cette fois par Renaud Dutreil, ex-ministre des PME, devenu ensuite PDG de LVMH USA, qui a fait profiter à son candidat de son carnet d’adresses auprès des « Français de l’étranger ». En novembre, les donateurs de plus de 3 000 € avaient permis de rapporter environ 1,5 million d’euros à la campagne de Macron (pour donner un point de comparaison, le budget de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 avait été de 22 millions d’euros, 21 millions pour Hollande et… 9 millions pour Jean-Luc Mélenchon, tandis que Philippe Poutou se débrouillait avec 800 000 €). Pour compléter la somme, Macron emprunte auprès des banques, comme les autres candidats. Et comme les frais de campagne sont intégralement remboursés par l’État au delà de 5 % des voix, il ne risque pas grand-chose, sauf très gros écroulement électoral.

Les atouts de Macron ne sont pas seulement financiers. En octobre 2016, on apprenait l’entrée dans son équipe de campagne de Bernard Mourad. Mourad est un banquier d’affaires à l’ascension fulgurante, conseiller de Patrick Drahi, patron de SFR-Numericable et propriétaire de SFR Presse, ex-Altice Media Group, qui regroupe de nombreux titres de presse et chaînes de télévision et radio : Libération, L’Express, BFM TV, RMC ou encore le magazine Mieux vivre votre argent (sic). Bon conseiller dans l’opération du rachat de Numericable, Mourad est nommé PDG de SFR Presse. Mais cette affaire juteuse n’aurait pas été possible sans le concours du ministre de l’Économie Emmanuel Macron, qui donne le feu vert à l’opération de rachat un mois après son arrivée à Bercy en août 2014 alors que son prédécesseur, Arnaud Montebourg, freinait cette opération en raison des pratiques d’évasion fiscale de Drahi (qui réside en Suisse, a une holding au Luxembourg et des actions à Guernesey). Son remplaçant se montre plus coopératif. Deux ans plus tard, renvoi d’ascenseur : Drahi envoie son fidèle lieutenant Mourad assister leur « ami commun » (Challenges, octobre 2016) en tant que conseiller spécial « en charge des questions et relations avec les sphères économiques. Cet ancien banquier d’affaires devrait également apporter une aide précieuse, grâce à ses réseaux, dans la recherche de financements pour la campagne présidentielle ». On suppose aussi que les studios de BFM TV ne sont maintenant qu’à un sms du candidat.

Il semblerait que le mouvement indépendant En marche ! doit beaucoup à l’action conciliante de l’ex-ministre de l’Économie à l’égard des milieux d’affaires les moins adeptes de la morale fiscale la plus élémentaire.