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« Je vais vous confier mon secret : j’aime les gens quand d’autres sont fascinés par l’argent »

François Hollande, candidat à présidence de la République, discours au Bourget, 22 janvier 2012

Il y a un préalable indispensable à toute action collective. On dit bien qu’une recette réussie est une recette préparée avec amour. Eh bien c’est pareil pour un combat politique et social. Or, l’allié suprême des chefs de toute obédience, c’est l’expression « les gens sont cons ». Le moment clef pour les dominants de tout secteur, c’est celui où vous choisissez de maudire le parfum, les goûts vestimentaires ou la couleur de peau de votre collègue plutôt que de remettre en cause le dernier ordre injuste que vous avez reçu. Si vous partez du principe que, en vrac, « les gens ne se bougeront pas », « de toute façon les gens sont résignés » ou, un must, « les gens sont des moutons », alors autant s’arrêter tout de suite.

Pourquoi ? Parce que vous allez devenir ce syndicaliste, ce militant, celui que vous avez croisé plusieurs fois depuis le lycée et qui vous prend de haut pour vous dire « je t’explique la vie camarade », et finalement fait tout à votre place parce que lui il a une conscience politique et qu’il a lu des livres de Marx et vous non. Ce militant-là, ce syndicaliste-là, celui qui continue de se gargariser d’être dans le camp des gentils, chaque année à la Fête de l’Huma en écoutant Cali, celui-là est tout aussi responsable de notre « triste époque » parce qu’avec son attitude condescendante et méprisante, il a fini par faire passer tous les défenseurs de la justice pour des gros relous.

Penser que « les gens sont cons » peut freiner l’action (s’ils sont cons, pourquoi se donner du mal pour eux ?) ou bien la rendre arrogante et méprisante, donc repoussante. Il faut donc combattre ce préjugé absurde partout autour de vous si vous souhaitez mettre du collectif là où il n’y a que la division qui permet aux chefs de régner. Malheureusement, l’idée reçue selon laquelle « les gens sont cons » est partout : les intellos de tout poil et les journalistes de tout crin passent leur temps à nous donner une image déplorable de nos semblables. De la fascination télévisuelle pour Nabilla et ses sorties, qui flattent ceux qui se moquent d’elle, au dernier bouquin du linguiste et essayiste Alain Bentolila, Comment sommes-nous devenus aussi cons ? : le pékin moyen est décrit comme consumériste, étroit d’esprit et complètement moutonnier. Pour éviter que cette pensée vaine et fausse prenne pied dans votre entourage, il y a quelques énoncés types qu’il faut traquer et auxquels il faut savoir répondre du tac au tac pour les désamorcer.

« Les gens sont plus intéressés par leur smartphone et leurs fringues que par les autres ». Si on s’observe soi-même plutôt que de juger hâtivement autrui, on se rend compte que nous aussi on est un terrible consumériste, tout simplement parce qu’on n’a pas vraiment le choix. Votre vieux téléphone portable qui vous convenait très bien se casse ou se décharge sans cesse – ce qui est prévu dans sa conception, évidemment –, votre opérateur vous en propose d’autres, tout neufs, tout futiles, tout « consuméristes », mais vous n’avez pas le choix. La folie consumériste n’est pas quelque chose de voulu, et même les hystériques des nouvelles technologies, qui attendent le nouvel iPhone avec le flegme d’un gamin de 6 ans la veille de Noël, ou les fanatiques des soldes d’hiver peuvent avoir une conscience politique. Mais comme la demande est largement créée, imposée et donc subie, alors pourquoi déduire de ça une quelconque connerie ambiante ?

« Les gens ne lisent plus les journaux, ils ne lisent pas de livres, l’inculture règne ». Pour démonter cet argument, il vous suffit de trouver quelqu’un de très cultivé mais de très con, voir raciste, machiste, antisémite… Regardez Jean-Marie Lepen, on dit qu’il est super cultivé ! La culture ne fait pas l’intelligence et la culture fait encore moins la bienveillance ou le sens de la solidarité. On peut avoir lu Germinal et approuver l’usage illimité de la matraque dans des manifestations ouvrières. On peut avoir lu Madame Bovary et frapper sa femme, oui oui. La sensibilité à la justice ou à la solidarité ne dépend en RIEN du niveau de culture. Donc pour se révolter, lire de la grande littérature ou de la grande théorie ou ne pas en lire ne change rien.

« Les gens ne bougent pas, il ne se passe rien alors que la situation est révoltante ». Réponse simple : « Et toi tu fais quoi ? ». Généralement, votre interlocuteur aura du mal à se justifier, ou alors par le raisonnement absurde suivant : « si je ne fais rien, c’est parce que je sais que de toute façon, les autres ne feront rien ». Oups, mais les gens ne feront rien s’ils pensent que tu ne feras rien… Donc il va falloir que quelqu’un se lance. Ensuite, pour expliquer l’apathie générale, il suffit de se demander sérieusement : que faire ? Mieux voter ? S’engager au PS et demander à Valls de changer de politique ? Déclencher une émeute ? Poser une bombe, alors qu’on ne sait pas encore qui cibler et si ça servira à quelque chose ? Si les gens ne font rien, c’est parce que pour l’instant, les possibilités d’action sont rares et coûteuses. Pour arriver à vraiment influencer un parti, il faut s’y impliquer à fond et faire quelques crasses pour arriver dans les hautes sphères ; pour faire de l’action clandestine il faut être prêt à détruire son quotidien et risquer la virginité de son casier judiciaire. Pas impossible, mais il faut avoir les idées claires et les convictions solides, ce qui n’est pas si facile. Le coût d’entrer en action est déjà moins fort sur votre lieu de travail. Et il faut bien commencer quelque part.