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On parle souvent, notamment ici dans les colonnes de Frustration, du CNR (Conseil national de la Résistance) pour évoquer les grandes conquêtes sociales encore en vigueur de nos jours, quoique largement affaiblies. Son action ne fut pas aussi unitaire qu’il y paraît : il n’eut pas d’existence institutionnelle – il n’y a pas eu de gouvernement du CNR – mais la réunion des mouvements de Résistance sous l’égide de Jean Moulin en 1943 aboutit à un « plan d’action immédiate » de libération ainsi qu’à un programme socio-économique intitulé « Les Jours heureux », paru en mars 1944, qui rassemblait derrière lui les diverses tendances politiques participant à la Résistance, et grandement nourri par le Parti communiste, seul parti entré en résistance, et qui allait inspirer les gouvernements de l’immédiat après-guerre (Voir le documentaire de Gilles Perret, Les Jours heureux, qui donne la parole à des membres du CNR qui expliquent le sens quasi révolutionnaire que ce programme politique allait donner à une Résistance menée en grande partie par des militants communistes et socialistes).

Résister, pour quoi ? Ce programme donnait un sens quasi révolutionnaire à la Résistance :  il comprenait des mesures pour rétablir des mécanismes démocratiques (suffrage universel, indépendance de la presse vis-à-vis des capitaux de l’industrie) et aller vers une économie plus progressiste et sociale « impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » (la nationalisation des grandes entreprises exploitées par l’Allemagne nazie, le renouveau de la représentation syndicale), « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État » (assurance contre la maladie maladie, retraites pour tous les salariés). Un programme articulant épuration et partage des pouvoirs et des richesses, dans la lignée des avancées sociales créées par le Front populaire avant guerre. C’est ce qui donna naissance au « modèle social » français, un compromis entre capitalisme et socialisation. Un compromis fragile que Macron et ses prédécesseurs s’emploient à briser dans le sens des intérêts de la bourgeoisie.

Du Conseil National de la Résistance à l’agenda libéral

La belle histoire du CNR ne doit pas pour autant nous faire céder à la fable unanimiste. Ce fut une grande avancée du processus révolutionnaire pour les défenseurs de la classe ouvrière, mais d’intolérables concessions pour le patronat et la bourgeoisie d’affaires, dont le rêve fut dès lors de l’abattre.

Il n’y a pas eu de véritable entente à la Libération et le patronat n’a fait aucune concession. De 1945 jusqu’aux années 60, les syndicats de salariés et de patrons ne se rencontrent jamais, ils se détestent avec une violence inouïe. De la même manière le patronat n’était pas discrédité à l’issue de la guerre, il continuait à farouchement défendre ses intérêts ! Mais en 1945, on assiste à une victoire écrasante des travailleurs, portés par une CGT et un PCF extrêmement bien organisés, sur plein de tableaux. Depuis, le patronat, mauvais perdant, essaie de nous faire gober qu’il s’agissait d’une “concession liée aux exigences de l’époque”.

Le combat contre les conquêtes du CNR continue avec violence. Le dirigeant d’entreprise et militant libéral (ancien vice-président du MEDEF et président du club du Siècle) Denis Kessler présentait sans équivoque l’agenda libéral dans un célèbre éditorial en 2007 :

« La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ».

Cet agenda libéral n’est pas un complot que les dirigeants, au MEDEF ou au club du Siècle, ont véritablement mis au point sur un tableur excel comportant les réformes à mener. Non, même si le macronisme clarifie la situation du camp libéral, ils n’ont pas la franchise de publier un programme comme le fit le CNR. Leurs réformes doivent passer pour des idées neuves issues du jeu démocratique. L’agenda libéral, c’est la guerre que les puissances économiques et leurs représentations politiques mènent contre tout échappatoire au système capitaliste. Un service public ? Un marché régulé ? Un système socialisé ? On privatise. On libéralise. On ouvre à la concurrence. De l’ « intérêt général » porté par les forces politiques héritières du CNR, on est revenu au pur intérêt économique de quelques-uns.

Concrètement, l’agenda libéral consiste en une lutte féroce contre le « modèle social français », modèle que ceux qui sont nés après les années 1970 avons entendu vilipendé et foulé aux pieds pendant toute notre vie pour louer le sage néolibéralisme allemand. Mais l’élection d’Emmanuel Macron semble constituer un tournant : nous sommes passés d’une guerre de position sous les gouvernements qui se sont succédés disons depuis 1983 (la rigueur sous Mitterrand), qui avançaient à petits pas et reprenaient deux années de retraites par-ci, quelques droits syndicaux en moins et quelques déremboursements de médicaments par-là, à une guerre éclair extrêmement violente, la « blitzkrieg » prônée par François Fillon durant la campagne présidentielle. Les réformes socio-économiques de la première année du quinquennat Macron renversent complètement le sens de certaines institutions sociales, au grand bonheur de ceux qui l’ont soutenu pour qu’il mène pour leur compte leurs basses besognes.

1 – Le droit du travail 80 ans en arrière

En 1936, suite aux grandes grèves, le Front populaire avait introduit de nombreux progrès dans ce domaine : délégués du personnel, élargissement des  conventions collectives, une hausse des salaires de 7 à 15 % selon les branches, deux semaines de congés payés, la réduction du temps de travail (semaine de 40 heures). Le gouvernement de 1946, s’appuyant sur les principes du programme du CNR rétablit la loi des 40 heures, créa les comités d’entreprise pour associer les travailleurs à la gestion de l’entreprise

La création des comités d’entreprise constitue un bon exemple de l’idée que le patronat ne désarme pas et que le droit du travail peut être “réversible” (il peut servir aussi bien au patronat qu’aux travailleurs). Avant 1946, les comités existent déjà dans plein d’entreprises, et dans ces comités les salariés s’y sont arrogé un pouvoir de décision économique. Ils géraient les entreprises à la place du patronat ! La loi sur les comités d’entreprise, certes étend le modèle des comités sur tout le territoire, mais l’un de ses objectifs principaux était justement d’ôter ce pouvoir de gestion économique que les syndicats s’étaient donné.

Les comités d’hygiène et de sécurité deviennent obligatoires en 1947 dans les établissements industriels comptant au moins 50 salariés, 500 dans les autres. En 1968, les accords de Grenelle aboutissent à la création des sections syndicales d’entreprise. En 1982, les lois Auroux proclament la « citoyenneté en entreprise », instaurent une négociation collective annuelle sur les salaires, la durée et l’organisation du travail, et renforcent l’hygiène et la sécurité avec la création des CHSCT.

>>> Malgré les reculs successifs depuis, ce sont bien les ordonnances de 2017 qui changent la donne avec des arguments que n’aurait pas renié Alfred Sauvy, un économiste et démographe qui s’opposait en 1936 à la semaine de 40h « bloquant une économie en pleine reprise qui est l’acte le plus dommageable commis depuis la révocation de l’édit de Nantes ». Résumons : la négociation en entreprise prend le pas sur la branche, mettant en concurrence les salariés d’un même secteur. C’est là le grand retournement de cette loi.

Le comité social et économique (CSE) sera à partir du 1er janvier 2020 désormais la seule instance représentant le personnel. C’est la fin des comités d’hygiène et de sécurité. Les CSE devront puiser dans leurs propres fonds (ceux de l’ancien CE) pour diligenter des enquêtes, à hauteur de 20 %. Les élections syndicales ne sont plus obligatoires dans les entreprises de moins de 11 salariés. Rappelons encore la barémisation des indemnités à verser par l’employeur en cas de licenciement abusif et la rupture conventionnelle collective, autant de réformes qui favorisent le licenciement en douceur… pour l’entreprise.

Les effets sont déjà là : avec la mise en place des CSE, les salariés disposent de 33% de moins d’élus en nombre, depuis 2018. En outre, le nombre de recours au tribunal des Prud’hommes est en chute libre depuis 2017. Depuis les ordonnances, les salariés voient bien que pour une procédure longue et lourde ils ne gagneront plus grand chose face à des directions qui peuvent à l’avance évaluer ce qu’elles vont devoir payer en cas d’abus…

2- Une assurance-chômage en ruine

L’assurance-chômage destinée à tous les salariés du secteur privé involontairement privés d’emploi a été créée fin 1958 par les syndicats de salariés et de patrons. Charge est donnée à l’UNEDIC (une association voulue indépendante de la Sécurité sociale par la CGT, car celle-ci n’était pas encore paritaire) d’indemniser les chômeurs qui ont cotisé. En 1967, la création de l’ANPE lui adjoint un service d’aide à la recherche d’emploi qui fusionnera avec l’UNEDIC sous Sarkozy sous l’appellation Pole Emploi. En 1968, il y avait 100 000 bénéficiaires contre plus de trois millions de chômeurs indemnisés aujourd’hui. L’assurance-chômage reconnaît que le chômage est une situation ponctuelle indépendante de la volonté du salarié. Le salarié cotise (à hauteur de 0,95 % de son salaire brut, 4,05 % sont versés par l’employeur) et, en situation de chômage, il est indemnisé selon ses cotisations.

>>> En février 2018, Macron a réuni les « partenaires sociaux » gestionnaires de l’UNEDIC afin de mettre en place l’assurance-chômage « universelle » promise pendant sa campagne. Les « partenaires sociaux » en ont réduit la portée et l’Assemblée Nationale a adopté cette évolution dans la loi qui a été votée en mai. L’assurance-chômage « universelle » consiste à ouvrir le droit à l’indemnisation aux indépendants (artisans, professions libérales) et aux salariés démissionnaires, ce qui a été finalement fait extrêmement partiellement.

Malgré cette loi en demi-teinte, on assiste à un retournement du paradigme : le chômage selon Macron ne doit plus offrir une protection aux salariés contre une situation de non-emploi contrainte mais favoriser la mobilité et la création d’entreprises par ses semblables start-upeurs, pour qu’ils puissent se lancer avec les allocations comme filet de sécurité (la rupture conventionnelle le permet pourtant déjà). Mais on peut craindre que les entreprises y voient une nouvelle possibilité de licenciement facile : « Vous pouvez bien démissionner Berthier, vous aurez droit à deux ans de chômage ».

Au 1er novembre 2019, de nouvelles règles ont été mises en place pour parachever le tout : la moitié des chômeurs sont en train de perdre une large proportion de leur revenu, dans l’indifférence médiatique, et ce n’est que l’année prochaine qu’on viendra chouiner en constatant une nouvelle explosion du taux de pauvreté.

Avec la « rupture conventionnelle collective » (déjà engagée par plusieurs entreprises) et les nouvelles facilités de licenciement, l’assurance-chômage sera conçue comme une prise en charge par la cotisation d’une partie du « coût du travail » de l’entreprise, les salariés étant indemnisés quand l’entreprise n’a pas besoin d’eux. De plus, l’indemnisation sera déconnectée de la cotisation puisque les indépendants ne cotisent pas.

La multiplication par cinq du nombre de contrôleurs, le volet formation de la réforme, la culpabilisation quotidienne des chômeurs dans les médias, tout cela participe à l’individualisation des parcours qui font du chômage une responsabilité personnelle. Une vision déconnectée de la réalité : une carence de 3 millions d’emplois en France. C’est cela le « en même temps » du macronisme : et libéral et protecteur mais surtout l’individu livré à lui-même dans un univers de compétition.

3 – Adieux au logement social

Jacques Mézard, ministre de la destruction du logement social

Au sortir de la guerre, la priorité va à la reconstitution de l’appareil productif. À partir de 1953 et la création de mécanismes pour le favoriser (la création du 1 % logement, la réforme des primes et prêts du Crédit Foncier, la mise en place de l’épargne logement), le logement social prend son essor. En 2016, le parc locatif social comptait 4,8 millions d’appartements et de maisons individuelles (soit une habitation sur six), près de la moitié du parc locatif total.

>>> Pour favoriser le logement social, Emmanuel Macron a commencé par diminuer le montant des APL de cinq euros par mois, compensé par une baisse des loyers de 50 euros, pour une économie programmée de 1,5 milliard d’euros sur les APL dès 2018. Le secteur sera privé de 7 % de ses recettes. Sur le long terme, l’idée est de favoriser l’investissement des bailleurs sociaux pour créer un « choc d’offre ». Pourtant eux ne voient pas les choses ainsi. Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement (CNL) l’expliquait à L’Humanité :

« Le but est la privatisation du logement public. […] Qu’est-ce qui se trame au fond : le marché de l’immobilier vu par monsieur Macron est en train d’être réorganisé : on passe d’un marché immobilier à un marché financier. »

Les effets commencent à se faire sentir localement. Par exemple Jean Glavany, l’ancien député socialiste et président de l’Office public de l’habitat des Hautes-Pyrénées (OPH 65), a dressé les perspectives pour son département dans la presse : « Cela se traduira par une baisse de 50 % du résultat et donc des investissements. En 2020, ce sera 75 %. […] Nous allons diminuer les constructions qui étaient au nombre de 140 par an. Pour les réhabilitations, elles seront repoussées ou décalées. » Une situation alarmante pour les locataires alors que le nombre de mal-logés est croissant (environ 4 millions de personnes en France) et que 40 milliards d’euros passent chaque année dans les allocations, défiscalisation, subventions et autres.

4- De la nationalisation à l’ouverture du marché à la concurrence

Bruno Le Maire, ministre des privatisations

Le Front populaire avait déjà nationalisé les usines d’armement, de construction aéronautique et les chemins de fer (création de la SNCF en 1937) mais n’avait pas été plus loin, le patronat se montrant favorable à la reprise par l’État des industries déficitaires comme les compagnies ferroviaires. Le programme du CNR prévoit des nationalisations, le « retour à la nation de tous les grands moyens de productions monopolisées, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques », pour épurer après la collaboration de certaines grandes entreprises, organiser la reconstruction et développer la démocratie sociale, le service public. Entre 1944 et 1946 sont nationalisés les Charbonnages de France, Renault, la Banque de France et les quatre plus grandes banques, le transport aérien, le gaz, l’électricité et les grandes compagnies d’assurance. Avec la nouvelle vague de nationalisations sous Mitterrand, ce sont jusqu’à un quart des salariés qui travailleront dans le secteur public.

>>> Deuxième salve d’ordonnances en un an de pouvoir de Macron : la réforme de la SNCF qui est le parfait exemple de la destruction du service public par les néolibéraux. Nationalisée sous le Front populaire pour que l’État assume le « monopole naturel » (une voie = une compagnie ferroviaire) et un transport d’intérêt général pour le développement du territoire, le service public, son fonctionnement a été brisé depuis les années 1980 par un développement centré sur les métropoles et les LGV et le délaissement du réseau secondaire et des trains de nuit, par des politiques tarifaires importées du secteur privé, etc.

Les ordonnances vont créer le cadre du modèle européen de la mise en concurrence de l’opérateur national avec des opérateurs privés, l’entretien du réseau restant à la charge du contribuable, le tout sous la coupe d’un « régulateur indépendant », comme dans les télécommunications par exemple. S’il n’y a pas immédiatement privatisation, c’est tout comme à partir du moment où le monopole public est brisé.

Enfin, en se payant les cheminots et leur statut décrit comme indûment protecteur, Macron agite la question des régimes de retraites et, en bon libéral, des « corporations » de privilégiés qui prendraient le pain de la bouche de Français qui travaillent. Alors que les cheminots font marcher un service public essentiel pour le développement territorial. Pour quelle raison faudrait-il en attendre la rentabilité ?

Il ne faut pas non plus oublier la loi PACTE et son cortège de privatisations honteuses : aéroport de Paris, qui est une entreprise publique gérant une de nos principales frontières avec le reste du monde, et la Française des Jeux, monopole d’Etat extrêmement rentable sur les jeux d’argent désormais livrés à la rapacité et au cynisme des grands groupes. Ces dernières semaines, la radio publique France Inter diffuse un sport publicitaire du gouvernement nous incitant à investir dans le capital de la Française des Jeux : “venez prendre part à la curée nous disent-ils, venez détruire votre modèle social avec nous, et peut-être qu’on vous laissera les restes !”

5 – La Sécurité sociale en lambeaux

Les ordonnances d’octobre 1945 créent un régime général de Sécurité sociale qui couvre tous les salariés par ce qui devient alors les régimes spéciaux. Son fonctionnement est assurantiel : salariés et employeurs cotisent. Le régime général est composé de quatre branches : maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse et veuvage, et la branche famille. La création de la Sécurité sociale par l’action du Parti communiste (le ministre du Travail Ambroise Croizat) et de la CGT est une véritable révolution, permettant l’émancipation du capitalisme.

>>> Là encore, les réformes de Macron sont bien plus qu’il n’y paraît un renversement du système : la hausse de la contribution sociale généralisée (la CSG créée par Michel Rocard) en remplacement des cotisations salariales d’assurance-maladie et d’assurance-chômage a vaguement satisfait à court terme les salariés : en octobre 2018 nous avons eu de 10 à 40€ de plus sur notre salaire net. Mais le financement par l’impôt, c’est-à-dire par tous, au détriment du financement par la cotisation modifient la nature de la Sécurité sociale qui passe ainsi davantage sous le contrôle de l’État.

Coup de maître de la part du gouvernement : alors que la sécurité sociale allait mieux financièrement (contrairement au niveau de ses prestations), il a pu, gràce à un tour de passe-passe budgétaire, la remettre artificiellement en déficit pour refaire porter le chapeau de la dette aux assurés sociaux.

Les effets de la destruction de la sécu se font déjà sentir : l’état de l’hôpîtal public en est le résultat le plus saisissant, mais il faut aussi penser à ce qui est prévu pour notre régime de retraites, avec une réforme où la grande majorité d’entre nous seront perdants.

Au pas de charge

Le vocabulaire guerrier utilisé par les médias pour décrire le macronisme dit la vérité sur la manière qu’a le président de mettre en œuvre l’agenda libéral. En le resserrant sur sa première année de mandat – les bonapartistes 100 jours rêvés par les éditorialistes s’avérant un peu courts -, il accélère le tempo de la guerre de classes. Et il est en train de faire des prises de guerre d’importance. Si Macron ne parviendra pas à mettre à terre toutes les conquêtes sociales des classes laborieuses héritées des grandes grèves de 36, de la Résistance, de mai 68, en cinq ans de mandat, il a pour le moment réussi l’essentiel : un retournement complet du paradigme des mécanismes sociaux.

Révolution, s’appelait le livre de campagne de Macron. C’est bien ce qu’il fait en substituant à la protection collective un droit individualisé et en reportant les difficultés de parcours et leur responsabilité sur les personnes. Briser le secours collectif est le moyen privilégié du libéralisme. Le ver est dans le fruit, la destruction du modèle social français en marche.

Revenir avant 1945, disait Denis Kessler, donc revenir à un système économique et social profondément inégalitaire où ont pu proliférer les forces politiques qui ont conduit à une guerre mondiale. Un risque assumé par des responsables qui ne verront aucune contradiction entre leur action politique et leur lutte contre le Front national deux petites semaines tous les cinq ans.

Au cours de l’histoire, la classe possédante et les classes laborieuses s’affrontent et la balance penche plus ou moins dans un sens ou dans l’autre, mais principalement dans celui de la classe possédante. Le mouvement social à venir en décembre est un nouvel épisode, après la grève de 2018 et le mouvement des gilets jaunes, de cette guerre des classes entre un pouvoir méprisant, qui s’est rapidement montré autoritaire et violent, et des populations fragilisées qui trouvent encore le courage de se défendre. Souhaitons que, de contre-feu pour circonscrire le pyromane Macron, il prenne de l’ampleur et devienne une marche vers la victoire.


Illustration principale par Aurélie Garnier