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Ces derniers jours j’ai dû convaincre plusieurs de mes proches, pas fachos pour un sou, n’ayant jamais tenu un propos raciste, ayant voté à gauche toute leur vie, de ne pas voter Le Pen. Certains et certaines le comprendront et le souligneront sûrement, je viens des classes populaires blanches sinon ce choix ne serait sûrement en aucun cas envisagé, mais ces gens existent et ils sont nombreux. Le système politique et médiatique sous-estime incroyablement la colère de notre classe. Ce n’est pas à défaut de leur en avoir fait quelques spectaculaires démonstrations au cours des dernières années. 

Mais les membres de la classe politique et médiatique pensent qu’il suffit, le sourire jusqu’aux oreilles, comme Fabien Roussel, ou au milieu d’hurlements de joie et d’applaudissements obscènes comme Yannick Jadot, d’appeler à voter Macron pour que nous nous précipitions pour le faire. Et ce n’est vraiment rien comprendre à la haine que suscitent Macron, son quinquennat et ce qu’il incarne, haine parfaitement légitime par ailleurs. 

Disons le autrement : parfois inciter plutôt à ne pas voter fait le travail antifasciste parce que sinon beaucoup voteraient Le Pen.

Le Pen l’a bien compris et l’a écrit sur son tract « l’abstention c’est réélire Macron ». C’est le contraire de ce que radotent les éditorialistes aussi ignares en sociologie électorale qu’ils le sont en tout : mais c’est bien elle qui a raison. Car les franges les plus abstentionnistes ont les mêmes caractéristiques sociales que celles qui votent le plus Le Pen : ouvriers, employés…et une partie non négligeable des jeunes. 

Forcez ces gens à voter et vous serez surpris du résultat. Disons le autrement : parfois inciter plutôt à ne pas voter fait le travail antifasciste parce que sinon beaucoup voteraient Le Pen.  Mélenchon, dont les injures de la totalité du système médiatique et politique le suivront visiblement jusqu’au cercueil, l’a bien compris. Oui, comme le répètent les éditocrates et les intellectuels au rabais, « pas une voix pour Marine Le Pen » permet l’abstention, mais l’abstention permet d’éviter les reports vers Le Pen. Car c’est pour beaucoup le maximum que l’on peut exiger. 

Les bourgeois sont beaucoup trop bêtes pour le comprendre, pour la simple raison que la réélection de Macron ne changera rien à leurs vies, contrairement à nous, ils ne la subiront pas dans leur chair. Elle n’est donc qu’un énième sujet de discussion, un enjeu moral dans lequel l’important est d’être du bon côté de la posture, celle qui permet de « défendre la république » à peu de frais. A peu de frais pour eux. 

Oui, beaucoup d’entre nous seraient prêts à avoir Le Pen pendant 5 ans juste pour le plaisir furtif de leur faire fermer leur claque-merde pour quelques heures, le temps d’une soirée

Oui, beaucoup d’entre nous seraient prêts à avoir Le Pen pendant 5 ans juste pour le plaisir furtif de leur faire fermer leur claque-merde pour quelques heures, le temps d’une soirée, juste pour enlever de leurs faces ce sourire colgate autosatisfait et indigne qui ne les quitte jamais. Parce que c’est ça le maximum de joie que nous promet la vie démocratique de ce pays rance. Et comment le leur reprocher totalement ? La faute à qui si l’unique moyen que nous avons est celui parfaitement médiocre du vote ? Si toute la vie politique est résumée à un choix binaire entre deux mauvaises options et avec la sensation que rien d’autre ne nous est permis ?

Mais voilà : notre histoire et la pluralité de notre classe nous oblige, et nous en prendre à plus précarisés que nous, à ceux qui sont encore plus dans la merde que nous, – les musulmans, les immigrés, les racisés, pour ne pas les citer – ne nous vengera pas de Macron. Les macronistes s’inquièteront de ce que fera Le Pen avec l’Europe (rien) mais se satisferont tout à fait de la xénophobie de l’extrême droite. Bien mauvais calcul donc. 

Le traitement médiatique contre Le Pen ne signifie par ailleurs en rien qu’elle serait l’ennemie de la classe dirigeante.  Ce n’est finalement que depuis ce second tour que les médias se réveillent et cela n’a rien d’un hasard, eux qui ont tant œuvré à nous imposer ce duel. De notre côté nous n’avons pas attendu le second tour pour informer de son programme antisocial, obsédé par le remboursement de la dette et les politiques d’austérité que cela promet, et de son projet autoritaire et xénophobe. Dès l’instant où Le Pen serait élue, cette même classe qui s’est accommodée de ses thèmes, se retournerait entièrement en sa faveur et tout recommencerait comme avant. Sûrement en pire. 

Personne n’a à vous dire quoi faire et certainement pas ceux qui ont organisé ce choix et qui, jubilant, attendent de vous que vous vous soumettiez avec entrain ou résignation au leur. Pour voir combien de fois nous leur obéirons sans broncher. 

Nous en prendre à plus précarisés que nous, à ceux qui sont encore plus dans la merde que nous, – les musulmans, les immigrés, les racisés, pour ne pas les citer – ne nous vengera pas de Macron

Mais voilà ce que je ferai et voilà ce que je conseille : je fais partie de celles et ceux qui n’ont pas fait barrage à Macron en 2017 et chaque tué par la police, chaque oeil énuclé, chaque main arrachée, chaque tente de migrants éventrée, chaque débat sur la réhabilitation de Pétain ou sur l’islamo-gauchisme à l’université nous a donné raison. Nous n’avons donné aucune sorte de caution à cela. Contradiction dans les termes : on ne fait pas vraiment barrage à l’extrême droite en votant pour une autre forme d’extrême droite, eut-elle la gueule plus aimable, plus propre sur elle, plus acceptable, d’un banquier énarque.

De la même manière, je ne ferai pas barrage à Macron et je ne donnerai aucune caution à ce que ferait Le Pen si elle est élue. Je n’ai pas voulu de ce choix, la plupart des Français n’en ont à vrai dire pas voulu non plus. En nous abstenant nous ne nous y soumettrons pas car nous le refusons, car cette élection n’est pas la démocratie, c’est son contraire. 

A partir de là sera élu qui sera élu, je n’en porterai aucune responsabilité, si ce n’est celle d’avoir déconseillé de voter Le Pen. Cette élection ne concerne plus notre camp social, laissons-les se démerder entre eux. Nous couperons notre TV et nous nous efforcerons de passer un bon dimanche, de nous reposer, car, le lendemain, nous devrons retrouver notre énergie et notre rage intactes pour défaire les plans du prochain candidat du capital.


Rob Grams