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« Vivement que la SNCF soit mise en concurrence », voilà la rumeur qui s’élève dans les wagons dès que le train a un quart d’heure de retard. Les consommateurs intransigeants qui ont la haine du service public chevillée au corps vont être exaucés en 2020 pour le TGV et en 2023 pour les Intercités et TER quand d’autres compagnies, privées elles, pourront faire circuler leurs trains sur les rails de France, dont l’entretien restera évidemment à la charge du contribuable. Ce sera l’entrée en application des « paquets ferroviaires » (ensembles de directives européennes) devant assurer un accès « transparent et non discriminatoire » au réseau.

La concurrence ferait le bonheur du client puisque les entreprises auraient intérêt à offrir le meilleur niveau de service au meilleur tarif possible, un rapport qualité-prix qui serait inaccessible à l’État. Qu’en est-il vraiment des bienfaits de la concurrence ? Mais surtout quelles seront les conséquences sur l’idée d’un service public du transport ferroviaire de passagers ? Aujourd’hui déjà, la mission d’organisation des transports a été abandonnée par des responsables politiques qui laissent mourir de lui-même le réseau dit secondaire (tout le monde se souvient de l’accident, extrêmement rare jusque-là, à Brétigny-sur-Orge en 2013, qui en montre la vétusté ; récemment la SNCF a annoncé la fermeture de six à huit lignes de nuit Lunéa), désormais en concurrence avec les cars Macron (les OuiBus de la SNCF), et qui ont délégué les dessertes locales aux régions qui font selon leur marge de manœuvre financière et le bon-vouloir de leurs élus. La logique de l’aménagement du territoire pour offrir un égal accès au transport au maximum de citoyens (le transport servant à rapprocher ceux qui sont éloignés) a cédé la place à la « métropolisation », focalisée sur l’efficacité de l’activité économique qui demanderait de relier entre elles les grandes villes par des projets pharaoniques de lignes à grande vitesse (LGV).

La satisfaction des exigences du client qui veut partir de Paris vers son rendez-vous professionnel ou sa destination de vacances, sans arrêt, dans un TGV décoré par Christian Lacroix, sans risque d’être déconnecté (« OMG ! ») puisque des antennes-relais sont installées le long des voies, et y retrouver son brunch préféré (au menu : plat de chef étoilé, petits carrés Michel & Augustin accompagnés d’un thé Kusmi tea) servi par un « barista », est-ce vraiment là le sens du service public ? Ou au contraire, le rôle de celui-ci serait-il d’assurer la meilleure desserte au plus grand nombre de citoyens en dehors des contingences commerciales ?

Pour répondre à ces questions, revenons sur l’histoire d’un processus de dénationalisation du train, amorcé depuis longtemps et qui changera très bientôt le paysage des transports dont quelques vestiges tiennent heureusement encore debout en France.

La satisfaction des exigences du client qui veut partir de Paris vers son rendez-vous professionnel ou sa destination de vacances, sans arrêt, dans un TGV décoré par Christian Lacroix, sans risque d’être déconnecté (« OMG ! ») puisque des antennes-relais sont installées le long des voies, et y retrouver son brunch préféré (au menu : plat de chef étoilé, petits carrés Michel & Augustin accompagnés d’un thé Kusmi tea) servi par un « barista », est-ce vraiment là le sens du service public ?

1937 Un service public est né

Dès les balbutiements du train en France – la première ligne de chemin de fer entre Andrézieux et Saint-Étienne est entrée en service en 1823 – se pose la question du financement des infrastructures. Étant donnée la lourdeur des investissements, l’État est conduit à intervenir : en 1842, la loi relative à l’établissement des grandes lignes de chemin de fer instaure ce qu’on appellerait aujourd’hui un partenariat public-privé dans lequel l’État se charge des terrains, des ouvrages d’art et des gares, les compagnies privées elles de la création des voies ferrées et de leur exploitation. En plus de l’aide à la construction, l’État est garant en cas de défaillance conjoncturelle et régule les tarifs. Un modèle qui a permis l’expansion très rapide du train sur le territoire dans un réseau conçu en étoile autour de Paris.

Au cours du xxe siècle, l’idée d’un « monopole naturel » s’impose[1] : il ne peut exister qu’un seul réseau et il serait inutile que chaque nouvelle compagnie le double. C’est cette idée, alliée à celle, progressiste, d’un service public du transport de passagers, que va consacrer l’année 1937. Léon Blum a été l’un des grands promoteurs de la nationalisation du transport ferroviaire. Dans la logique des congés payés et de l’introduction des loisirs de masse, la SNCF (Société nationale des chemins de fer) est créée un an après la victoire électorale du Front populaire, comme société d’économie mixte possédée à 51 % par l’État, le reste du capital étant détenu par les grandes compagnies destinées à en sortir progressivement.

On ne parle jamais des trains qui arrivent à l’heure mais force est de constater que le réseau ferroviaire français développé, entretenu et exploité par l’entreprise publique est reconnu comme l’un des meilleurs. La SNCF a permis à des millions de Français n’ayant pas forcément de voiture de partir en vacances à des prix abordables, elle permet à beaucoup de salariés d’aller travailler sans utiliser un transport individuel, elle a contribué au développement territorial, notamment en reliant des petites villes à des cités plus importantes. Le conseil municipal de Tarbes (Hautes-Pyrénées), dont la ligne de nuit Hendaye-Paris doit être supprimée, rappelait dans une motion votée le 10 avril dernier que « la Palombe bleue participe encore aujourd’hui au désenclavement de [son] territoire, au sens du service public et de l’égalité de traitement des citoyens. De même que, contrairement au bus ou à l’avion, elle présente une alternative peu énergivore et peu émettrice de pollution. » Le train électrifié est un moyen de transport collectif et à l’empreinte carbone très faible. Il faut ajouter que réseau français est particulièrement sûr : il arrive qu’il y ait une collision une fois par an, mais jamais de déraillement ; les décès comptabilisés sur les rails sont en grande majorité des accidents aux passages à niveau. Les dysfonctionnements de la circulation, certes dommageables pour l’usager, restent finalement mineurs et, question régularité, le train n’a pas à rougir de la comparaison à la route et ses bouchons ou à l’avion et ses aléas mécaniques et climatiques. Autant de raisons pour que le train soit le moyen de transport que les pouvoirs publics encouragent et financent.

1983 Introduction de la logique commerciale et abandons de lignes

Dès 1971 une nouvelle convention est passée entre l’État et la SNCF, donnant à l’entreprise publique une autonomie de gestion avec pour objectif d’atteindre l’équilibre financier. L’État lui verse des compensations financières pour les obligations de service public qu’il lui impose (dessertes non rentables). En 1983, au lendemain de l’obtention par l’État de l’intégralité du capital de la SNCF, aboutissement de la nationalisation lancée en 1937, celui-ci la transforme en un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial). L’autonomie de la SNCF marque un tournant en termes de but : la rentabilité va nécessairement prendre le pas sur la question de l’utilité publique du service rendu par le rail, comme c’est le cas de tous les établissements publics. Elle poussera au désengagement des lignes secondaires et à un moindre entretien du réseau et du matériel roulant. Mais le besoin de rentabilité commerciale se traduira aussi par une politique tarifaire variable, comme elle se pratique dans les avions, au détriment de la lisibilité des prix qui assurait l’égalité entre les passagers.

LE YELD MANAGEMENT

l’usager tributaire de la fréquentation

Le yeld management est le système de fluctuation des prix au gré du marché : les tarifs évoluent selon le remplissage du train, incitant les acheteurs à se reporter sur des horaires moins chers car moins demandés. Pour la SNCF c’est tout bénef’ : un remplissage des trains les plus convoités à un tarif très élevé et un meilleur remplissage des autres créneaux. Cette méthode de tarification en vigueur dans le transport aérien a été introduite en 1993 pour que le TGV gagne des parts de marché sur l’avion.

Mais pour le « consommateur » (qu’on n’appelle plus désormais un usager d’un service public), l’avantage est moins net : en 2007, Le Canard enchaîné, s’appuyant sur une note confidentielle de Bercy, affirmait que « [pour] les consommateurs, le coût du transport ferroviaire [grandes lignes] augmente beaucoup plus rapidement que les prix moyens à la consommation : + 4,5 %, en rythme annuel, entre 2003 et 2006. » alors que la SNCF affichait des hausses au même niveau que l’inflation. En effet, 83 % des voyageurs ne sont pas concernés par le tarif de base validé par le ministère des Transports et servant au calcul des tarifs officiels de la SNCF. Les voyageurs, en règle générale, « profitent » d’une tarification totalement dérégulée et hors de contrôle. Quelques Prem’s sur des trajets peu remplis donnent encore au train une image de transport économique[2], mais « au détriment de la clientèle “contrainte “, tel le salarié lambda qui ne peut pas prévoir ses week-ends prolongés trois mois à l’avance ni choisir ses horaires, et paye donc ses billets au prix fort[3]. »

La confusion et la stupeur qui s’emparent de nous lorsqu’on consulte les tarifs des trains montre bien que ce système est indigne d’un service public qui a en charge l’égal accès de tous au transport et qui permet que deux passagers côte à côte aient des places à 100 ou à 25 euros. Pourtant il était possible de concilier remplissage des trains et politique tarifaire claire : précédemment, la SNCF pratiquait une tarification au kilomètre modérée par des périodes de plus ou moins forte fréquentation (périodes bleues et blanches sur les fiches horaires) et des cartes de réduction prenant en compte l’âge (12-25, Senior) ou la situation familiale (famille nombreuse). Un système de prix plus égalitaire voudrait que ces cartes soient transformées en réductions sur critères sociaux.

Dans le même temps, la SNCF concentre ses investissements sur les lignes à grande vitesse reliant les métropoles entre elles. La ligne Paris-Lyon a été inaugurée dès 1981. Depuis, le réseau TGV se développe, mettant des métropoles comme Marseille à 3 heures de Paris et, dès juillet, Bordeaux à 2 heures, quand d’autres territoires sont délaissés pour privilégier la seule logique de la rentabilité. Par exemple, Clermont-Ferrand, aire urbaine de 470 000 habitants reste désespérément à 3 h 30 de la capitale, à peine mieux qu’en voiture. Et ne parlons pas des lignes de traverse, quasi-inexistantes dans ce réseau conçu pour desservir Paris : nous vous déconseillons formellement de tenter de rejoindre Bordeaux depuis Clermont-Ferrand !

La ligne Paris-Lyon a été inaugurée dès 1981. Depuis, le réseau TGV se développe, mettant des métropoles comme Marseille à 3 heures de Paris et, dès juillet, Bordeaux à 2 heures, quand d’autres territoires sont délaissés pour privilégier la seule logique de la rentabilité. Par exemple, Clermont-Ferrand, aire urbaine de 470 000 habitants reste désespérément à 3 h 30 de la capitale, à peine mieux qu’en voiture.

Les lignes interrégionales rencontrent donc de vraies difficultés : nombre de dessertes sont désormais déficitaires car peu fréquentées. Si 100 000 personnes empruntent encore chaque jour les Intercités pour rejoindre les 367 villes desservies, les coûts ne cessent d’augmenter pour le contribuable (en 2013, le trajet Lyon-Bordeaux revenait à 275 euros par voyageur aux finances publiques[4]). Le non-renouvellement des trains depuis 30 ans et le manque d’entretien du réseau allongent les temps de parcours, ce qui n’incite guère l’usager, et rendent le transport moins sûr, comme l’a tragiquement démontré la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, sur la ligne Intercités Paris-Limoges, due à la défaillance d’une pièce métallique servant à raccorder deux rails. En février 2015, la Cour des comptes évoquait les Intercités comme la « composante négligée de l’offre ». Pourtant, en 2010, l’État et la SNCF avaient signé une convention pour sauvegarder une quarantaine de ces lignes dites d’ « équilibre du territoire » (ne cherchez pas le mot tabou de « service public ») avec un plan d’investissement d’1,5 milliard. Mais l’ouverture à la concurrence risque de rebattre les cartes et d’être l’occasion pour la SNCF de se débarrasser de ce service public devenu si pesant car trop longtemps laissé à l’abandon.

1987 Le TER en sauveur du réseau secondaire

La priorité donnée à cette technologie de pointe qu’est le TGV a donc pour effet pervers le sous-investissement dans le réseau secondaire. Les lignes d’intérêt local et leurs gares ou les guichets de ces gares ferment. À court terme, il existe des solutions, défendues notamment par la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) : installer des guichets de substitution dans les bourgs, car 30 % des usagers achètent encore leur billet au guichet, ou confier les lignes aux collectivités locales.

C’est d’ailleurs la voie qui avait été suivie quand les régions ont pu passer des conventions avec la SNCF pour améliorer l’offre locale dès 1982, donnant naissance en 1987 au TER (train express régional) avant que les régions ne prennent l’entière gouvernance de ce réseau en 2002. En contrepartie, l’État dote les collectivités en fonction des dépenses précédemment réalisées par la SNCF dans la région donnée. Avec un résultat positif : l’offre de transport de proximité sous l’impulsion des régions a fait repartir à la hausse la fréquentation : dans les TER, elle a augmenté de 42 % sur la période 2002-2012 et le matériel roulant est désormais en bien meilleur état. Pourtant le faux procès dont est victime la SNCF persiste : « Depuis le transfert des TER aux régions en 2002, le taux de régularité a gagné plus de 12 points », se défend Alain Le Vern, directeur général TER et Intercités de la SNCF, cité par la Caisse des dépôts des territoires en 2014. En effet les investissements réalisés par les régions ont permis au TER d’atteindre une moyenne de 92 % de trains à l’heure. Qui dit mieux ?

Derrière cette régionalisation réussie, on constate que les régions ont complété les dotations de l’État pour créer ce système TER qui marche, au point que le transport ferroviaire représente l’un de leurs premiers postes budgétaires avec les lycées. Mais le pouvoir central saute sur l’occasion de ce bon bilan pour déléguer davantage, c’est-à-dire attribuer des compétences aux régions sans que les budgets suivent pour autant. Par exemple, en 2020, l’État transférera à la région Normandie le pilotage des trains Intercités. Or le problème est tout autre pour des lignes d’intérêt national comme les Intercités et le contribuable normand risque de ne pas comprendre pourquoi il devrait financer des lignes largement empruntées au départ de Paris. C’est en tout cas le premier accord du genre et il est appelé à se multiplier si l’État poursuit sur cette voie du désengagement.

1997 Les coûts d’entretien du réseau au public, les recettes commerciales au privé

La séparation du réseau (dont la gestion est confiée à Réseau ferré de France, RFF) des activités de transport (gérées par la SNCF) en 1997 par le gouvernement Juppé, qui transposait là des directives européennes, constituait le préalable à l’ouverture à la concurrence du rail. Une coquille vide puisque dans les faits, la SNCF, par une convention avec RFF, continue d’assurer l’entretien des voies et la gestion des circulations. Derrière cette sympathique idée de donner le choix au consommateur, on voit bien la logique : l’entretien du réseau et son développement restent à la charge du contribuable, mais les recettes générées par le trafic ferroviaire seront considérablement amoindries par l’introduction de compagnies privées pour concurrencer l’opérateur public. Les péages qui viennent s’y substituer ne suffiront pas, c’est pourquoi RFF (devenu maintenant SNCF Réseau) ne cesse de les augmenter, pour tenter d’atteindre l’équilibre et stopper la dette du ferroviaire, une dette héritée de la SNCF, passée de 20,5 milliards d’euros en 1997 à 44 milliards aujourd’hui et principalement due au financement des LGV.

POURQUOI L’UNION EUROPÉENNE LIBÉRALISE LES SERVICES PUBLICS ?

En ce qui concerne le train, l’idée de mise en concurrence n’est pas neuve. En 1842, les parlementaires avaient prévu dans la loi la possibilité qu’une compagnie embranchée sur le réseau d’une autre puisse y faire circuler ses trains et avoir ainsi plusieurs opérateurs sur une même ligne. Cependant, avec l’émergence de la notion de « monopole naturel » et du train comme secteur stratégique pour l’État, le modèle national s’est imposé au xxe siècle et a fait ses preuves.

Mais l’Union européenne, tenue par l’idéologie de la « libre concurrence », demande à tous les secteurs, dont ceux qui étaient jusque là un monopole étatique, d’adopter son modèle unique, d’abord appliqué dans les télécommunications en 1998 : un réseau national, des exploitants publics ou privés en concurrence sur un marché surveillé par un régulateur indépendant (l’ARCEP pour les télécoms). Cette thérapie a ensuite été prescrite au rail dans la directive 91/440 et dans le livre blanc sur le ferroviaire de 1996. D’ailleurs, en réintégrant en 2015 dans une même holding RFF, devenu SNCF Réseau, et la SNCF, devenue SNCF Mobilités, l’État s’est écarté du patron européen.

Ce mouvement, qui a touché d’abord ici France Télécom et La Poste, correspond à l’imposition d’une logique capitaliste de l’offre et de la demande (consommation) et de mise en concurrence des travailleurs d’un même secteur, au détriment d’une logique de service public (égalité d’accès à des services de nécessité publique, à tarif abordable) assuré par des fonctionnaires dont la mission cruciale pour les citoyens justifie la sécurité de l’emploi.

Car la construction des LGV grève les finances du ferroviaire et bénéficie au privé, notamment grâce aux partenariats public-privé. Dans un article intitulé « LGV Tours-Bordeaux : Vinci nous roule à grande vitesse ! » (1er mars 2017), le mouvement altermondialiste ATTAC révèle les dessous financiers du chantier de cette ligne : contrairement à ce qui a été annoncé, Lisea, la filiale de Vinci, qui devait financer entièrement la ligne, n’a consenti qu’un investissement de 2,4 milliards d’euros sur les 7,6 de coût total (dont 772 millions de fonds propres, le reste étant emprunté par l’entreprise avec des crédits garantis par l’État et SNCF Réseau). Selon ATTAC, les subventions publiques ont couvert 42 % du total et SNCF Réseau 26 %. Pourtant Lisea percevra pendant 44 ans la totalité des péages de l’opérateur qui exploite la ligne (pour l’instant la SNCF). Mais les actionnaires de Lisea ne se contentent pas de cette sécurité sur le long terme : ils percevront des rémunérations de 14 % payées sur le déficit de la SNCF. En effet, alors que 13 aller-retours quotidiens semblaient suffisants, Lisea en a obtenu 19, mais les trains circulant à vide donneront lieu aux mêmes péages que les autres. Le genre d’opération qui plombe pour longtemps les possibilités d’investir sur le réseau secondaire. Pour assurer la continuité du projet après la présidentielle, Xavier Huillard, le PDG de Vinci, a participé à des rassemblements d’Emmanuel Macron fin 2016, Yves Thibault de Silguy, le « père de l’euro » et vice-président de Vinci, a lui soutenu Alain Juppé.

2015 Les cars Macron : faire de la France un pays du tiers-monde

Emmanuel Macron restera dans le paysage du transport français pour la libéralisation du transport routier de passagers en 2015. Un symbole de régression puisque c’est habituellement dans des pays nettement moins développés en infrastructures que la France qu’on trouve ce mode de transport intérieur polluant. On vend toujours une amélioration pour le client : ici des tarifs très attractifs pour permettre à tous de voyager. Pourtant, plutôt que de créer une offre pour les pauvres, on aurait pu adapter le prix de l’offre ferroviaire et, encore mieux, augmenter le pouvoir d’achat des classes populaires (s’il lisait ça, il se marrerait bien). Mais le consensus pro-route règne chez nos dirigeants pour réduire le réseau ferré aux LGV. D’ailleurs la libéralisation du transport en autocar dans d’autres pays d’Europe confirme que la loi Macron peut signer l’arrêt de mort de nombreuses lignes de train : la fréquentation des autocars en Allemagne est passée entre 2013 et 2014 de 8 à 20 millions de voyageurs, dont la moitié prenaient le train auparavant. Dans le cas des TER, ce sont les régions qui souffrent financièrement de cette concurrence de la route.

Avant même l’ouverture du rail à des compagnies privées, la SNCF se retrouve donc en concurrence intermodale (autocar, covoiturage) mais avec elle-même puisqu’elle propose le service de cars OuiBus et qu’elle possède IDvroom (ex-123envoiture) pour le covoiturage, qui fait déjà grandement concurrence aux Intercités, et OuiCar pour la location de voitures entre particuliers. Désormais, plus question de service public de train mais d’un « opérateur global de mobilité » dont le slogan est devenu « Liberté, égalité, mobilité », qui, si l’on enlève la publicité mensongère d’ « égalité », correspond tout à fait au monde d’Emmanuel Macron : dans ses propositions de campagne, il y avait notamment le « bail mobilité » permettant de louer « sans contrainte » un appartement pendant 4 mois. La mobilité qui fait rêver : la liberté d’errer en France en autocar et de loger dans des meublés pour faire des remplacements de congés maternité[5].

Désormais, plus question de service public de train mais d’un « opérateur global de mobilité » dont le slogan est devenu « Liberté, égalité, mobilité », qui, si l’on enlève la publicité mensongère d’ « égalité », correspond tout à fait au monde d’Emmanuel Macron : dans ses propositions de campagne, il y avait notamment le « bail mobilité » permettant de louer « sans contrainte » un appartement pendant 4 mois. La mobilité qui fait rêver : la liberté d’errer en France en autocar et de loger dans des meublés pour faire des remplacements de congés maternité

2020-2023 Quel avenir pour le train ?

L’ouverture du transport ferroviaire de passagers à la concurrence devrait se concrétiser en 2020 pour les lignes à grande vitesse, en 2023 pour le TER et les Intercités. On sait que les régions sont déjà dans les starting-blocks pour faire jouer la concurrence. En PACA, Christian Estrosi a annoncé, le 5 octobre dernier, avoir rompu « toute négociation avec la SNCF » pour la nouvelle convention et « engagé l’accélération de l’ouverture à la concurrence dès 2019 » pour changer de prestataire.

Que produira cette course à la rentabilité ? Les expériences étrangères nous donnent déjà une indication. Dans leur article « 36 compagnies pour une ligne de chemin de fer » (Le Monde diplomatique, juin 2016), Julian Mischi et Valérie Solano dressent le portrait d’un train cher, peu ponctuel, dangereux et très complexe : en Suède, « à la gare centrale de Stockholm, plusieurs opérateurs ferroviaires rivalisent au détriment de toute lisibilité pour les voyageurs. Pour aller de la capitale suédoise à Malmö, les usagers doivent s’y retrouver parmi les 36 sociétés qui desservent le territoire. Quelle compagnie et à quel prix ? Les billets réservés à l’avance ou à certaines heures de la journée sont moins chers, mais ils ne sont pas valables sur le train suivant si on manque le sien. Et il faut passer du temps sur Internet pour les trouver, car les employés des guichets ne renseignent que sur leur propre compagnie. » Leur reportage relate aussi la grève des cheminots de Veolia contre le projet de l’entreprise de résilier des contrats à plein temps pour réembaucher en contrats temporaires ou à temps partiel.

Il faut ajouter au rapport social extrêmement défavorable aux travailleurs, le manque de sécurité du rail privatisé. Les accidents se multiplient en Europe : « Hatfield en 2000 (4 morts et 70 blessés) et Potters Bar en 2002 (7 morts et 76 blessés), tous deux survenus au Royaume-Uni, pays précurseur en matière de privatisation du rail. L’enquête consécutive au déraillement de Hatfield a révélé que l’ensemble des lignes du pays étaient en mauvais état, du fait d’un sous-investissement chronique, alors même que Railtrack, la société propriétaire et gestionnaire du réseau ferroviaire britannique, engrangeait des bénéfices. L’entreprise a dû remplacer les rails défectueux ; pour cela, elle a demandé des subventions au gouvernement – qui ont été partiellement utilisées pour verser des dividendes aux actionnaires ».

Les tarifs du rail privé sont en constante augmentation. Au Royaume-Uni, une étude du parti social-démocrate Labour estime qu’ils ont gonflé de 27 % entre 2010 et 2016 et que les Britanniques dépensent en moyenne 14 % de leur revenu mensuel pour se rendre au travail, contre 2 % en France. Au Canada, les rares lignes de train sont devenues des lignes de luxe, des sortes d’Orient-Express pour touristes fortunés. Le problème de la privatisation saute tellement aux yeux que, selon des sondages, 70 % des Suédois et 58 % des Britanniques (sondage YouGov 2015) sont favorables à la renationalisation. Finalement, on se dit que ce serait aussi bien d’arrêter cette calamité tant qu’il en est encore temps.

Car ce constat donne un bon aperçu de ce qui peut nous attendre ici. Le processus de dénationalisation du rail est amorcé depuis longtemps : de la création d’un EPIC en 1983 – qui a poussé à la rentabilité commerciale et à une politique tarifaire qui peu à peu ont fait du train un moyen de transport inaccessible pour une partie de la population – à la séparation en 1997 des activités de transport de celles d’entretien du réseau, réforme conçue pour séparer le monopole naturel qui restera à la charge de l’État des activités pouvant générer des profits dessus. L’ouverture à la concurrence n’est que le point final d’un projet dont le texte est déjà écrit et qui, malgré ses prétentions à la liberté individuelle et à une offre de service grand luxe, n’a aucune considération pour les usagers ni les personnels, aucune considération pour l’humain.

[1] Pour les passionnés, lire « Les économistes et le secteur ferroviaire : deux siècles d’influence réciproque », par Patricia Perennes, Alternatives économiques, avril 2014.

[2] « Selon Rachel Picard [qui dirige l’activité TGV de la SNCF], le prix moyen d’un billet de TGV a baissé de 3 % en 2016, et de 6 % depuis 2013. Ce bourgeonnement de petits prix concerne surtout les trains circulant hors période de pointe, ceux dont le taux de remplissage laisse le plus à désirer. », lisait-on dans Les Échos du 31 mars dernier.

[3] Les informations de cet encadré sont tirées de l’article « SNCF : un prix peut en cacher un autre », de Claire Alet, Alternatives économiques, hors-série pratique no 041, 2009.

[4] Voir « Trains Intercités : c’est la crise ! », Vincent Grimault, Alternatives économiques, juillet 2015.

[5] Sur le sujet de l’idéologie de la mobilité, on peut lire l’article « Prisonniers de la mobilité », par Simon Borja, Guillaume Courty et Thierry Ramadier, Le Monde diplomatique, janvier 2015.