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Ces derniers mois, Macron a fait plusieurs voyages emblématiques aux États-Unis. Dès le début de l’année 2016, Emmanuel Macron passe ses troupes et ses soutiens en revue, de l’autre côté de l’Atlantique. Alors ministre de l’Économie, il passe notamment par Las Vegas. Cet événement organisé par Business France, dont l’ancienne présidente est aujourd’hui ministre du Travail, a mené à des perquisitions mardi 20 juin 2017 au siège du groupe publicitaire Havas et de l’agence nationale Business France sur ordre de l’Inspection Générale des Finances, dans le cadre d’une enquête préliminaire pour « favoritisme, complicité et recel de favoritisme ». Quasiment un an plus tard, Emmanuel Macron, cette fois candidat officiel, visite New York car « la démocratie n’a pas de prix, mais elle a un coût. » Entre deux levées de fonds traditionnelles aux sommes astronomiques, Emmanuel Macron participe à un petit déjeuner anodin mais fondamental pourtant passé quelque peu inaperçu dans la presse française. Un article de Libération daté du 6 décembre 2016 nous indique sans plus d’analyse que Macron y a rencontré « une trentaine d’invités de la French-American Foundation lors d’un petit-déjeuner au Links Club de l’Upper East Side, un club de gentlemen golfeurs traditionnellement issus de l’ancienne élite bancaire de la ville. Emmanuel Macron est un “Young Leader” de la French-American Foundation, promotion 2012. »

La rencontre des banquiers, de la finance et des multinationales…

La French-American Foundation a été lancée en mai 1976 aux États-Unis, afin de promouvoir le dialogue et la coopération entre la France et les États-Unis. Son programme phare « Young Leaders » a formé plus de 400 dirigeants français et américains influents. Son objectif est clair, de la bouche d’un des anciens formateurs, il s’agit de « trouver les personnes qui feraient l’opinion et seraient les dirigeants de leurs sociétés respectives » afin de les former et d’influer sur la politique, le monde économique et l’opinion publique. C’est l’une des cartes du soft power à l’américaine, qui a soigneusement sélectionné, formé et placé aux postes clés ses petites recrues.

Après avoir analysé les parcours professionnels des dernières promotions (2012 à 2016), la répartition des « élus » est limpide. 57 % viennent des grandes multinationales et des entreprises de conseil en stratégie et finance et autres spécialistes de la fusion-acquisition. Ainsi, on pourra citer une liste non-exhaustive de dirigeants des entreprises françaises historiques : Henri de Castries (AXA), Anne Lauvergeon (AREVA), Franck Gervais (Thalys), Alexis Morel (Thalès), Hélène Huby (Airbus), etc. Mais aussi les deux plus récents présidents de la République (François Hollande et Emmanuel Macron), suivis de dizaines de ministres et de députés. Si les nominés des promotions les plus anciennes sont bien installés, les membres les plus jeunes commencent déjà à percer. Il n’y a pas que les grands pontes de l’économie française qui se pressent dans les rangs de la Fondation. Frédéric Mazzella, fondateur et PDG de BlablaCar a fait partie de la promotion 2015 et est un soutien déclaré du Président Macron. Et que dire du poids des banques et des agences de notation dans le profil des recrues ? Emmanuel Macron bien sûr, mais aussi Clothilde L’Angevin (promo 2015) directrice de la stratégie du Crédit Agricole depuis 2015, Fatima Hadj (promo 2014), directrice associée à Standard & Poor’s, Renaud Guidée (promo 2013), directeur exécutif de Goldman Sachs, sans oublier Matthieu Pigasse (promo 2005), Banque Lazard & actionnaire du Monde

… avec des hauts fonctionnaires et des politiques

Deuxième catégorie dominante : les hommes politiques et hauts fonctionnaires qui représentent 15 % des heureux élus. Côté politiciens, on savait déjà que Marisol Touraine, Aquilino Morelle, Arnaud Montebourg, Najat Vallaud-Belkacem, Pierre Moscovici, Alain Juppé, Matthias Fekl, etc. étaient passés par la French-American Foundation. Mais quoi de plus surprenant que de retrouver Édouard Philippe (promo 2011) en Premier ministre du renouveau et même Cédric Villani, le célèbre mathématicien à l’Assemblée nationale ! D’autres noms, moins connus émergent en creusant un peu. Alexandre Zapolsky, fondateur et président de Linagora a été candidat de la 3e circonscription du Var sous l’étiquette En Marche ! Julia Minkowski, associée du célèbre Cabinet Temime et Associés a quant à elle fait partie du groupe de travail « Justice » d’En Marche ! au lancement de la campagne présidentielle. Ces deux personnes sont de la promotion 2014 des Young Leaders. La « société civile » ne serait-elle pas si novice ?

Le pantouflage (c’est-à-dire les allers-retours entre le public et le privé et les services rendus induits) n’est pas une marque de fabrique de la Macronie, même si Emmanuel Macron en est une égérie. Énarque, associé de la Banque Rothschild (par ailleurs grand mécène de la Fondation) puis brillant politicien, d’autres que lui suivent ce parcours. Fanny Letier (promotion 2016), diplômée de Sciences Po Paris et de l’ENA, a commencé sa carrière à la direction générale du Trésor, puis, après avoir été directrice-adjointe du cabinet d’Arnaud Montebourg (lui-même Young Leader, promo 2000) est aujourd’hui directrice exécutive de BPIFrance (Banque Publique d’Investissement). Autre élève de la promotion 2016, Nicolas Hazard, fondateur et président du Comptoir de l’Innovation/Calso, a fait l’objet de spéculations. D’après Le Point « tout le monde le voyait rejoindre le staff d’Emmanuel Macron pendant la campagne… Nicolas Hazard a préféré faire équipe avec Benoît Hamon ». Mais il convient de rappeler qu’il a travaillé également avec Anne Hidalgo, Valérie Pécresse et Alain Juppé. Dernier exemple, Julien Vaulpré (promo 2015), co-fondateur et directeur général de Taddeo, cabinet de conseil stratégique en communication, fut un éminent conseiller de Nicolas Sarkozy, par ailleurs mis en examen pour favoritisme en 2016.

Le petit monde clos des grands médias

Troisième et non moins important pilier de ce réseau d’influence : les médias. Et il suffit de consulter les sites officiels de la French-American Foundation pour en comprendre l’ampleur. L’ancien président de la French-American Foundation (2010-2015) et actuel président d’honneur de cette organisation est Jean-Luc Allavena. Le recruteur d’Emmanuel Macron est également l’un des sept dirigeants d’Altice en tant qu’administrateur indépendant du groupe. Pour ceux qui ne le sauraient pas, Altice est une multinationale présente dans les télécoms, les médias, le divertissement et la publicité. L’entreprise, qui a racheté de nombreux opérateurs de télécommunications et entreprises de communications, est présente dans 10 pays dont la Belgique, la France, les États-Unis, Israël, le Luxembourg et la Suisse. Son fondateur n’est autre que Patrick Drahi. En juin 2016, Patrick Drahi cède la présidence française d’Altice à Michel Combes (promo Young Leader 1998), ancien président d’Alcatel-Lucent, parti avec un parachute doré de près de 8 millions d’euros. Le groupe Altice a racheté ces dernières années Numéricable, Virgin Mobile et SFR. Le groupe SFR est quant à lui propriétaire des médias Libération et L’Express, BFM TV et RMC. La French-American Foundation vient ici mettre en lumière les liens unissant Emmanuel Macron et les dirigeants du groupe Altice et à travers lui d’un certain nombre de médias français. Cet ensemble versaillais ne serait pas complet si l’on ne citait pas quelques autres journalistes de la grande presse triés sur le volet par la Fondation : Nicolas Escoulan (Europe 1), Matthieu Croissandeau (L’Obs), Élise Vincent et Nabil Wakim (Le Monde), Laurent Jofrin, (Libération), Jérôme Chapuis (RTL)…  De manière plus discrète, d’autres lui apportent également leur soutien. Yannick Bolloré, PDG d’Havas (premier groupe publicitaire de France), fan de Macron, et fils de Vincent Bolloré (PDG du groupe Bolloré), était présent au premier meeting du candidat d’En Marche ! en juillet 2016 à Paris et était également présent au dîner de Gala 2016 du puissant réseau d’influence américain. Enfin, le président actuel de la French-American Foundation vient parachever de son parcours prestigieux le tentaculaire réseau de l’élite française. Si son grand-père maternel, André-Marie Gérard fut inspecteur général de l’ORTF, Arnaud de Puyfontaine ne démérite pas. Passé par Le Figaro, puis conseiller presse de Nicolas Sarkozy, il devient président du directoire de Vivendi, deuxième groupe d’investissement au monde, en 2014. Vivendi possède entre autres des parts dans le groupe Canal+ (20 %), Universal Music ainsi que la FNAC (15 %). L’actionnaire majoritaire et président du conseil de surveillance n’est autre que… Monsieur Bolloré lui-même.

Jeunes talents pour incubateur d’oligarques

Loin d’un discours conspirationniste à l’égard de ce que certains pourraient qualifier de secte sans trop gratter, il est pour autant indispensable de s’intéresser à cet incubateur de la caste française pour comprendre la symbiose parfaite entre les trois sphères politique, économique et médiatique françaises. Plus encore, à y regarder de plus près, on obtient quelques éléments de compréhension sur la brillante ascension de la fusée Macron. Littéralement encensé par les médias français, les journaux Libération, L’Obs, Le Monde et L’Express (tiens donc…) ont publié plus de 8 000 articles évoquant Emmanuel Macron entre janvier 2015 et janvier 2017. Emmanuel Macron continue de bénéficier d’un soutien indéfectible de ces mêmes journaux qui iront jusqu’à le qualifier de « leader du monde libre » en le comparant à De Gaulle dans une hystérie collective pas vraiment déontologique au début du mois de juin 2017. Au regard du vaste réseau dépeint dans l’article, rien d’étonnant que cette allégeance de la presse. Il suffit de savoir qui possède quoi. Si l’on en croit le président d’honneur de la French-American Foundation, interviewé dans Les Échos en décembre 2015 : « la France forme très bien ses élites, aussi bien commerciales, techniques que publiques. » Mais dans quel but ? Et de poursuivre en nous livrant la réponse : « il faudrait que l’entreprise soit toujours plus au cœur de leurs programmes [des responsables politiques]. Le bien-être des citoyens passe en grande partie par le bien-être économique et la croissance. Et, pour cela, il faut que les entreprises puissent se développer. Aux politiques de tout mettre en œuvre pour créer les conditions de la croissance. » Il semblerait que ce vaste réseau ce soit mis En Marche !, et sans jeu de mots, sans continuer d’espérer que les politiques leurs créent des conditions favorables. Ce réseau s’est occupé lui-même de trouver les personnes qui « feraient l’opinion » (les médias) et « seraient les dirigeants » (politiques et économiques) en plaçant lui-même ses meilleures recrues aux postes clés. Cerise sur le gâteau, la victoire planifiée et sans surprise de leur poulain le plus prometteur.

 

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