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Aujourd’hui, l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande a annoncé sa candidature à la présidentielle. Quel scoop ! Un faux suspense savamment calculé par Macron et son équipe et transformé en feuilleton politique vaguement excitant par une presse totalement soumise au plan de communication de celui qu’ils décrivent comme le « trublion » ou le « briseur de tabous » de la présidentielle à venir. De l’Express (qui a ouvertement pris parti pour lui) à l’Obs (qui frissonne de plaisir à l’entendre dire que les 35 heures sont de l’histoire ancienne), en passant par les grandes chaînes de télé et radio, un seul mot d’ordre : Macron est le candidat du renouveau. Mais ce discours s’auto-alimente sans reposer sur le moindre fondement. Le programme du candidat, à peine évoqué, donne pourtant de nombreux indices sur le degré de « nouveauté » ou la posture « anti-système» de l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée. Quant à son parcours, il met plutôt en lumière l’appartenance de classe d’Emmanuel Macron. Rétablissons donc les faits : Macron est un membre de l’oligarchie dont le programme politique est l’extension de ses profits et de ses privilèges, grâce à des réformes économiques nous ramenant au 19e siècle.

1 – Ce qu’il est : un oligarque de plus

Emmanuel Macron est un fils de neurologue et de médecin-conseil pour la Sécurité sociale, et grandit donc avec une vie confortable, rythmée par le piano au conservatoire et la fréquentation des établissements privés catholiques de la bourgeoisie amiénoise. Ses études sont celles du politicien moyen : prépa, Sciences Po, ENA, le triptyque gagnant et où l’on apprend à penser comme un dirigeant de la 5e République et où on se construit son réseau.

Après l’ENA, Macron entre dans le corps de l’Inspection des finances, véritable État dans l’État, composé de hauts fonctionnaires (payés entre 5000 et 6000 € bruts, hors primes) chargés de l’audit des finances publiques et de nombreuses missions qui font d’eux des candidats aux postes clefs des institutions internationales ou des entreprises publiques. Mais aussi des recrues de choix pour les grandes entreprises privées qui aiment disposer de fins connaisseurs du fonctionnement de l’État. C’est ainsi que Macron est recruté en 2008 par la banque d’affaires Rothschild et Cie.

C’est étrange que ce passage dans le privé soit associé à une originalité de plus dans le parcours de Macron dans les nombreux articles qui lui sont consacrés. En réalité, il s’agit là d’un choix de carrière très banal chez les politiciens professionnels : ça s’appelle le pantouflage et ça consiste à naviguer entre le public et le privé au gré des circonstances et des opportunités. C’est une pratique totalement immorale, dans la mesure où c’est sur le dos du public que les compétences profitables au privé sont acquises, et c’est grâce au réseau acquis dans le public que les postes juteux dans le privé sont trouvés. C’est le cas pour Macron, recommandé à la banque Rothschild par Jacques Attali avec qui il avait été missionné pour l’écriture d’un rapport (le fameux « rapport Attali pour la libération de la croissance française ») en 2007.

À la banque Rothschild, il utilise son carnet d’adresses d’énarque pour mener des négociations entre entreprises, touchant de belles commissions au passage. C’est ainsi qu’il devient millionnaire en participant au rachat par Nestlé de la filiale d’un grand groupe pharmaceutique américain. Le miracle dans l’affaire c’est que, pendant ce temps, Macron est toujours haut fonctionnaire, et il réintègre sans souci la fonction publique en 2012, lorsque son camp politique l’emporte, et devient secrétaire général adjoint de l’Elysée, puis ministre de l’Économie en 2014.

Le parcours de Macron est caractéristique du monde professionnel dans lequel nos élites évoluent : un monde où les parcours sont ultra-sécurisés, où travailler dans le public est une ressource pour gagner plus dans le privé, et où le passage de l’un à l’autre se fait sans le moindre risque en termes de chômage, licenciement, reconversion… Macron a bénéficié d’une vie professionnelle ultra-protégée et encadrée, c’est-à-dire l’exact inverse de ce qu’il prône pour les Français…

 

2 – Ce qu’il défend : la précarité pour le peuple, la vie facile pour les élites

On parle peu du programme de Macron, dont la campagne s’appuie sur sa personnalité et ses petites phrases plus que sur un projet détaillé. Il est cependant possible d’en restituer certains grands axes à partir de ce qu’il a déjà fait comme ministre et de ce qu’il raconte à droite à gauche et, disons-le tout net, c’est plutôt du réchauffé pour ceux qui ont vécu la politique française de ces dix dernières années : plus de précarité pour les travailleurs, plus de sécurité pour les bourgeois.

  • La précarité comme émancipation : Emmanuel Macron adore, comme la plupart des candidats, l’uberisation du travail. Autrement dit, l’extension du statut d’auto-entrepreneur et l’extension infinie de la sous-traitance. Une société où l’on passerait sans cesse d’un travail payé à la tâche à un autre, au gré des besoins de tel ou tel secteur, et en faisant primer nos intérêts individuels sur des statuts collectifs. Malin, le candidat fait passer cette régression sociale pour un progrès incroyable : la précarité devient dans sa bouche une nouvelle forme d’émancipation, terme qu’il n’a cessé d’utiliser lors de son annonce de candidature.
  • La lutte des classes entre les travailleurs, diviser pour mieux régner : Macron excelle dans l’art de diviser les travailleurs entre eux. Il fait partie des politiques qui sont parvenus à théoriser une nouvelle lutte des classes : non pas celle des salariés contre les bourgeois qui s’enrichissent, mais celles des « outsiders » contre les « insiders » : les nouveaux entrants sur le marché du travail, jeunes ou non diplômés, contre les catégories organisées par des conventions collectives et des syndicats. Privé contre public, intérimaires contre salariés en CDI, VTC contre taxis, jeunes de banlieues contre vieux salariés. Nos ennemis ne seraient pas les 5 % les plus riches dont les revenus explosent depuis dix ans. Ce ne seraient pas les grands patrons français dont les salaires ont augmenté en moyenne de 20 % au cours de l’année dernière, pas plus que les actionnaires dont les dividendes ont gonflé de 11 % sur la même période. Non, selon Macron, nos ennemis seraient nos collègues en CDI, les enseignants fonctionnaires, les chauffeurs de bus trop payés. Ce discours aberrant est la réalisation du vieil adage « Diviser pour mieux régner ».
  • La restauration des privilèges pour les élites : Pour le site patronal « Observatoire de l’uberisation », ce processus encouragé par Macron est défini comme un « changement rapide des rapports de force grâce au numérique ». Et on pourrait rajouter « grâce à Macron et ses amis », puisque l’uberisation ne s’est pas faite toute seule, sortie de la cuisse d’Internet, mais par le biais des nombreuses lois ayant facilité la généralisation de ces nouvelles conditions de travail. La plupart des enquêtes sur le travail « uberisé » ne font pas que montrer les difficultés nouvelles qu’il fait peser sur les travailleurs « indépendants ». Elles mettent en évidence aussi la formidable aubaine que ces nouvelles configurations du travail représentent pour les entreprises et leurs actionnaires. Terminés les congés payés ou les arrêts maladies : les travailleurs indépendants d’Uber ou de Deliveroo doivent souscrire à une assurance privée s’ils veulent pouvoir manger en cas de maladie. Finie, la responsabilité de l’entreprise en cas d’accident du travail : elle n’est pas concernée par les déboires de ses « prestataires ». Enfin, plus besoin de se prendre la tête avec des plans de licenciements : quand la plate-forme de livraison à domicile Take Eat Easy a fait faillite en juillet dernier, ses coursiers ont été remerciés et réclament encore leur mois d’impayés[1], comme n’importe quel fournisseur.

 

3 – Ce qu’il représente : un nouveau champion pour l’oligarchie française

Macron veut une société plus dure pour les travailleurs et souhaite lester la bourgeoisie des « charges » auxquelles elle avait été contrainte par les luttes sociales du 20e siècle pour entretenir dignement sa main d’oeuvre. C’est pourquoi il a été très applaudi lors de son discours à l’université d’été du MEDEF. Quel grand capitaliste ne rêverait pas d’un tel candidat, capable de faire passer la précarité pour une chance, de transformer la lutte des classes en lutte entre précaires et CDI et d’ériger la destruction du droit du travail en progrès social ? Quel riche n’aurait pas envie de soutenir un candidat étiqueté « de gauche » mais qui veut « réformer »(ce qui veut dire en langue de bois néolibérale « réduire » ou « détruire ») l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) ?

Emmanuel Macron est naturellement leur candidat. Il a déjà fait ses preuves en tant que ministre avec sa loi Macron qui a consacré le travail le dimanche et de nuit, pour améliorer le confort de vie des cadres. Il est lui-même un grand bourgeois qui, à travers son programme économique, compte faciliter la vie de sa classe sociale. Une classe sociale dominante dont il souhaite voir les privilèges restaurés, au détriment du reste de la société pour qui il prône la flexibilité, la précarité, l’insécurité. Ce projet politique est aussi vieux que le capitalisme : c’est la lutte des classes que mènent les bourgeois pour payer le moins possible et gagner le plus, et dont Macron n’est donc que l’un des nouveaux lieutenants.

Sa jeunesse, son allure et son style ne sont qu’un nouvel argument de vente, copieusement promu par la presse : la couverture du numéro de l’Obs qui lui était consacré le montrait sous l’angle le plus avantageux et mettait excessivement en valeur ses yeux bleus. Cette presse capable d’accorder du crédit à ses postures anti-système,et de ne pas sourire quand cet ancien ministre, dont la loi a été adoptée après trois recours à l’article 49.3, prétend incarner sans rire une « révolution démocratique ».

Il faut dire que ces médias qui multiplient les Unes sur Macron font l’objet d’une récente reprise en main par une poignée de grands patrons. Or, ces derniers voient d’un très bon œil le remplacement de leurs vieux chevaux de retour grillés comme Sarkozy et Hollande, dont l’appartenance de classe est un secret de polichinelle pour la majorité de nos concitoyens, par un jeune poulain. Celui-ci parviendra probablement, avec leur complicité, à avoir l’air neuf pendant quelques mois. Et puis le vernis craquera et il deviendra un candidat de l’oligarchie de plus.


[1] Voir notre enquête sur les ex-Take Eat Easy « L’esprit coursier contre le capitalisme » dans notre numéro 8, automne 2016.