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Notre armée a commencé, depuis le début de l’automne, une série de bombardements sur les positions de l’Etat islamique (Daesh) en Syrie. Ces bombardements présentent des risques pour les pilotes en service sur le front, coûtent très cher à nos finances publiques et font de la France un État interventionniste, belliqueux et aligné sur les Etats-Unis. Et pourtant ni nous, citoyens, ni même notre Parlement, n’avons été consultés.

C’est le quatrième pays dans lequel la France intervient simultanément. Notre armée est présente aux côtés des Américains en Syrie, mais aussi en Irak, en Centrafrique et au Mali. Nous l’oublions tous régulièrement car nos médias en parlent assez peu. Nous ne savons pas grand-chose des réalités de ces engagements militaires, et on ne nous en demande pas plus. L’élite au pouvoir pense pour nous et tous ses membres sont très enthousiastes vis-à-vis de ces guerres et ont réussi à en faire un devoir moral. Comment s’y sont-ils pris ?

On nous dit que la France part à nouveau en croisade contre la « barbarie » aux côtés des Américains en Syrie, après les avoir accompagné en Irak. Et nos médias sont unanimes pour s’en féliciter. Certains chipotent histoire d’avoir l’air moins béats. Ils s’inventent géopoliticiens à grands coups de cartes et de schémas en 3D, soulignant la complexité du terrain syrien et des alliances. Mais personne ne semble questionner le principe même de cette guerre, le fond foireux de sa rhétorique.

 

La guerre est glorieuse

Les politiques aiment la guerre. Quoi de plus logique, c’est LEUR grand moment. Pour tous ces gosses de riches biberonnés aux histoires de conflit napoléonien, avoir « son » moment guerrier ça doit être quelque chose. Hollande a reconnu sa joie d’être accueilli en héros lors de sa visite au Mali. Et puis c’est l’occasion unique de montrer qu’ils ont une « volonté », une « résolution ». Hollande se soumet au MEDEF et à la plupart des lobbies. Mais on ne lui enlèvera pas le fait que c’est lui le CHEF DES ARMÉES. Donc lancer sa troisième intervention militaire en deux ans, c’est un sacré truc pour montrer sa détermination. Et ça, TOUS les éditorialistes le saluent.

Mais le patriotisme qu’ils affichent n’est qu’une façade. Que l’on délocalise les usines, que les Français s’appauvrissent, ils s’en foutent. Que l’on mette les Français, civils comme militaires, en danger par des expéditions guerrières hasardeuses ne les fait pas ciller. Du moment que la France, elle, triomphe. L’élite aime la France, pas les Français.

 

La guerre bien-pensante

A l’époque de l’invasion de l’Irak par la coalition menée par le président américain Georges W. Bush, le gouvernement français, beaucoup de journalistes et la plupart des hommes politiques ont dénoncé une guerre illégitime et inefficace. On a désormais la certitude que l’on a alors bien fait de ne pas partir en guerre, que les prétendues armes de destruction massive étaient un mensonge d’État monté de toute pièce. On sait aussi que cette guerre interminable a mis le chaos dans la région pour des décennies, qu’elle a fait des centaines de milliers de morts et d’orphelins, qu’elle a engendré des générations de djihadistes. Or, cette année, on nous a imposé l’intervention militaire en Irak pour « réparer » une situation qui ne nous concerne en rien, et qu’aucun spécialiste sérieux ne soutient qu’elle résolve à long terme quoi que ce soit, au contraire. Qu’est-ce qui a changé depuis 2003 ?

Pour la Syrie comme pour l’Irak, c’est l’humanitaire qui justifie l’intervention. Depuis plusieurs années les images de guerre là-bas tournent en boucle, et des chroniqueurs se sont plu à répéter que “la France ne faisait rien” ou que nous devrions avoir “honte” de cette impuissance. A force de répéter ça, sans jamais demander pourquoi au juste nous aurions quelque chose à y faire, l’intervention de l’aviation en septembre a semblé presque naturelle : “enfin on fait quelque chose !”. Les bombardements ne résoudront rien, tout le monde le sait, mais le bourgeois humaniste peut désormais dormir tranquille : son pays “fait quelque chose’” pour soulager la misère humaine. Et qu’importe que ce soit des hôpitaux de Médecins Sans Frontières qui reçoivent les missiles de l’OTAN. Personne n’a le cran de dire “Nous n’avons rien à faire là-bas”, après toute la propagande pour que nous envoyions nos Rafales.

Cela fait pourtant cher la bonne conscience, parce que ces guerres sont au-dessus de nos moyens. Et pourtant, alors même que pour ce qui concerne les affaires intérieures on nous rabâche tous les jours qu’il va falloir se serrer la ceinture parce qu’on n’a pas le choix, les leaders de tous les partis qui souhaitent la « rigueur budgétaire » soutiennent à 200 % cette troisième intervention militaire. On nous dit que c’est « juste des bombardements »… Or, « juste des bombardements » en Libye en 2011 ça avait coûté la broutille de 368 millions d’euros, et entraîné un « surcoût » pour le budget de la défense de 541 millions d’euros. Que fait-on de ce surcoût ? Il est absorbé par un fonds interministériel de secours, ce qui signifie concrètement que les années d’intervention tout le monde se retrouve mis à contribution. Pourtant, aucun chantre de la « réduction de la dette publique » pour s’opposer à cette guerre de plus.

 

La guerre est indispensable

Que s’est-il passé pour que des interventions militaires aussi coûteuses et néfastes fassent l’unanimité ? Comment s’y prend-on désormais, pour nous vendre la guerre comme une opération humanitaire ?

1 – D’abord il faut partir en guerre pour répondre aux attaques terroristes sur notre sol et prévenir les prochaines. La logique est implacable : plus on est la cible des terroristes, plus il faut leur faire la guerre. Mais en fait plus on fait la guerre, plus la France devient la cible prioritaire des terroristes. On se demande comment nos “frappes chirurgicales” vont dissuader de futures attaques terroristes sur le sol français.

2 – Intervenir en Syrie nous est présenté comme la seule solution pour résoudre la crise des migrants. Des millions de Syriens fuient la guerre dans leur pays, et pour limiter l’exode on va ajouter du chaos au chaos. Le consensus paraît total, la France doit combattre Daesh ET Bachar el Assad pour rétablir la paix et la stabilité. On se demande bien comment l’armée française pourra accomplir la prouesse de combattre sur tous ces fronts à la fois, alors que la Russie s’en mêle. Le flou artistique de la guerre syrienne donne l’occasion aux “spécialistes relations internationales” des chaînes d’info en continue de justifier leur salaire.

3 – Donc on nous dit qu’il s’agit de « prendre nos responsabilités ». Responsabilités de quoi, on ne sait pas. De gendarme du monde qui se substituerait illégalement à l’ONU ? D’ancien pays colonisateur qui assure maladroitement le service après-vente ? De pointe avancée de la civilisation chargée d’apporter la lumière démocratique aux quatre coins du globe ? On ne sait pas. Prendre nos responsabilités, c’est peut-être tout simplement assurer nos intérêts économiques dans le coin. Là, ce serait plus clair. Enfin nos intérêts… il faudrait dire leurs intérêts économiques, parce que pour ma part je n’ai pas d’actions chez Areva ou Total. On sait par exemple qu’à la frontière Niger/Mali se trouvent les réserves d’uranium de la France (alors que comme chacun sait le nucléaire c’est l’indépendance énergétique).

4 – Ensuite il s’agit de « ne pas capituler face à la barbarie ». Quand les conservateurs américains employaient le mot on s’offusquait de leur manichéisme, de la grossière théorie du choc des civilisations. Aujourd’hui, si vous doutez de la pertinence de l’expression, vous serez un « munichois ». Vous serez comme ceux qui, en 1940, n’ont pas osé se battre contre Hitler. La guerre comme devoir moral de résistance au Mal absolu. La preuve, les combattants de l’Etat islamique s’en sont pris au site archéologique de Palmyre. Pour la plupart des français Palmyre est un zoo situé près de Royan, mais pour les bonnes âmes cultivées c’est le berceau de la civilisation, et une telle agression vaudrait tous les bombardements du monde.

5 – La barbarie est là, c’est eux, c’est Al-Qaïda/ l’État islamique/ Boko Aram. C’est bien d’avoir des méchants identifiés. Ils sont méchants parce qu’ils tuent des journalistes, qu’ils violent des femmes, réduisent des gens en esclavage, qu’ils ne respectent pas les droits de l’Homme comme… une bonne cinquantaine d’États dans le monde, dont les pays de la péninsule arabique à qui on vend pourtant notre Louvre, notre Sorbonne, nos avions de chasse. Daesh décapite ? Mais c’est une pratique encore courante et même retransmise à la télévision en Arabie saoudite pour appliquer la peine de mort. Leur fait-on la guerre ? Non, alors qu’ils financent ces mêmes groupes terroristes.

Pour s’assurer qu’on soit bien remonté, les médias insistent sur les brutalités de nos ennemis. Mais un État de droit ne peut pas organiser une vendetta, il n’agit pas comme un parent de la victime, mais comme un législateur. Alors pourquoi nous demande-t-on de cautionner et d’encourager à l’international une conception de la justice radicalement contraire à celle en vigueur dans nos frontières ?

 

La guerre est discrète

Malheureusement, la guerre ne passionne pas les foules. L’armée, on ne la connaît pas : ce sont des professionnels et nous n’irons pas la faire, le service militaire ayant disparu. On mettra à la rigueur les drapeaux en berne quand un Rafale se fera descendre, mais on regardera ça de loin, comme un truc technique réservé à des experts. Mais c’est impossible, parce que tout le but de cette intervention est de montrer que c’est l’avion de chasse le plus fiable du monde. Pour le commander, vous pouvez composer le numéro qui s’affiche en bas de votre écran ou aller directement sur http://www.dassault-aviation.com/fr.

Depuis qu’Obama est noir et Hollande « social-démocrate », les bonnes âmes de gauche qui, hélas, dirigent les syndicats et les partis politiques, n’ont plus envie de rééditer les T-shirts de type « fuck Bush » et « halte à la busherie » et d’organiser une manif’ pour conscientiser la jeunesse. Les petits jeunes du syndicat étudiant UNEF, auparavant en pointe de ce genre de défilé, sont sans doute trop occupés à s’entre-déchirer pour obtenir un poste d’assistant parlementaire au PS. Alors qu’en 2003 ils étaient aux premiers rangs du front contre la guerre « impérialiste » du président américain, personne dans les rues pour dire que cette guerre n’a pas de raison d’être. Les partis de gauche radicale, eux, publient des communiqués contre ces interventions mais ne semblent pas pouvoir ou vouloir mobiliser contre elles. Résultat, rien ne se passe, et au nom de la France – et donc, qu’on le veuille ou non, en notre nom à tous – on bombarde, on mitraille, on place des check-points et on décide qui est terroriste et qui ne l’est pas. Bien loin des citoyens, dans le secret de l’Etat major et du bureau présidentiel.

 

Si l’élite adore la guerre c’est parce qu’elle ne la fait pas, qu’elle ne la paye pas, qu’elle n’en souffrira jamais.