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Devenu président à l’issu d’un second tour à l’abstention record, et gouvernant grâce à une majorité représentant à peine 17% du corps électoral, Macron ne connaît pas “l’état de grâce” qui permet traditionnellement aux présidents de la Vème République de faire passer le gros de leurs réformes avant de devenir des monarques contestés et détestés. C’est bien embêtant car, en matière de réformes d’enfoirés, le président et ses amis ont prévu de nous sortir le grand jeu, et il va s’avérer compliqué si “les Français” ne font pas l’effort d’adhérer six mois à sa propagande. Heureusement, la presse est là pour prêter main forte. Le président n’est pas populaire ? Qu’à cela ne tienne : on va dire qu’il l’est quand même.

Comme une pique adressée aux gens qui, comme nous, dénoncent la dérive autoritaire et ultra-libérale du gouvernement, Geoffroy Clavel, chef du service politique du Huffington Post (journal en ligne partenaire du Monde), dévoile la Vérité : “Aux yeux de l’opinion en revanche, Emmanuel Macron et Edouard Philippe se portent comme un charme”. Nous autres critiques de Macron aurions perdu l’accord du peuple, tellement favorable au président qu’on peut parler “d’état de grâce relatif”, selon Clavel.

Pour cela, le journaliste s’appuie sur le “baromètre” politique réalisé en partenariat avec l’institut YouGouv, dont nous racontions dans une précédente chronique les pratiques pour entretenir un panel de sondés multi-tâches, prompt à parler en même temps de leur choix d’opérateur internet et de leurs préférences politiques.

On apprend ainsi que le président de la République a atteint 43% d’opinion favorable, ce qui justifierait le titre placé en Une du magazine en ligne. Sauf que si on compare cette “popularité” avec celle des deux précédents présidents, Sarkozy et Hollande, on réalise alors que le “Huff Post” prend ses rêves pour des réalités. Il y a cinq ans, le même Geoffrey Clavel nous apprenait que Hollande était approuvé par 63% des sondés, un taux comparable à celui Sarkozy cinq ans auparavant, approuvés par 67% d’entre eux.

Au regard de l’histoire récente, Macron est donc le plus impopulaire et ce, alors même que sa communication propagandesque est très maîtrisée (Macron dans un sous-marin, Macron joue au tennis, Macron est le roi Soleil, etc.), et qu’une bonne partie de nos journaux ne disent que du bien de lui.

De plus, le fameux baromètre (disponible en intégralité ici) donne d’autres informations que Clavel s’est bien gardé de mentionner. Page 7, on apprend par exemple que les sondés ne sont que 26% à estimer que le président a une “bonne gestion de l’économie”, tandis que 38% la juge “mauvaise”. Page 9, on apprend que seuls 31% des sondés sont d’accord avec l’affirmation que “la société que prône le gouvernement est globalement celle dans laquelle je souhaite vivre”, contre … 51% en désaccord. Il est où, au fait, l’état de grâce ?

Dans ce “baromètre”, dont l’appellation évoque l’objectivité de la science et la fiabilité d’un outil de mesure, les questions sont d’ailleurs tournées de façon bien étranges. Page 13, on trouve ce genre d’affirmation à infirmer ou confirmer : “Le gouvernement a de bonnes intentions, même si je ne
suis pas toujours d’accord avec ses positions”, ou encore, “le gouvernement va de l’avant, et propose des mesures modernes”. Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire “moderne” ou “aller de l’avant” ?!

Il semble bien que le “baromètre” utilisé par le Huff Post et son chef du service politique soit un outil pipé, dont l’interprétation semble pouvoir se faire uniquement en fonction des désirs du journaliste.

Mais pourquoi ne les exprime-t-il pas clairement, plutôt que de se planquer derrière ces sondages bidons ? Accessoire indispensable au journalisme contemporain, les “baromètres” et autres “indicateurs objectifs” du genre ne sont qu’un avatar de plus de journaux d’opinion qui prétendent à l’objectivité et à la neutralité pour mieux emporter notre consentement.