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Les femmes représentent près de la moitié de la population active et sont toujours victimes de fortes inégalités dans les entreprises. Pourtant, l’objectif d’égalité entre hommes et femmes est affirmé, réaffirmé, la main sur le cœur par les gouvernements successifs. Il y en a même qui jurent en faire une grande cause nationale. Les employeurs aussi arguent œuvrer chaque jour davantage pour gommer les différences de traitement existantes. De nombreux textes ont été instaurés afin d’obtenir une égalité des chances et d’évolution dans la vie professionnelle. Malgré cela, la situation des femmes n’est toujours pas aussi simple et tranquille que celle des hommes. Alors, atteindre une véritable égalité femmes/hommes au travail, une volonté sincère ou de la poudre de perlimpinpin ?

Le long chemin de l’enfumage législatif

Nous pouvons le constater dans l’encadré ci-contre, depuis 25 ans, de nombreux textes ont été mis en place pour « lutter » contre les inégalités professionnelles. Force est de constater qu’ils ont tous été inopérants. À titre d’exemple, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes travaillant à temps plein était de 24,5 % en 2010, il représentait 26 % en 2016. Pourtant gouvernements et patronat, comme ils le disent en chœur, font de l’égalité femmes/hommes un véritable leitmotiv. On peut en douter au regard de ces résultats ! Mais, foi de Jupiter, cela va s’améliorer.

Que deviennent les lois sur l’égalité professionnelle ? © Illustration de Daphné Geisler

Avec la loi Travail, c’est pourtant la disparition pure et simple de la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes qui est actée. El Khomri a bien préparé le terrain en 2016 avec sa loi, le tandem Macron-Pénicaud, fidèle à sa logique de démantèlement du Code du travail, va plus loin en permettant au travers de l’ordonnance no 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, par accord d’entreprise, de modifier le thème, le contenu et la périodicité des négociations. Elles pourront donc être organisées avec un contenu à la carte une fois tous les quatre ans, voire pas du tout, sans que les entreprises ne soient sanctionnées. Antérieurement aux dispositions instituées par la loi Travail, chaque année le rapport de situation comparée (RSC) était présenté au comité d’entreprise (CE), et devait donner lieu à discussions et définition d’un plan d’action. Ce n’était pas forcément la panacée, puisque de nombreux employeurs s’affranchissaient du processus. Ces derniers, et l’ensemble de leurs petits camarades vont d’ailleurs se trouver confortés dans cette apathie.

La réalité du terrain

Afin de comprendre véritablement la situation sur le terrain de l’entreprise, Frustration a rencontré des salariés afin d’échanger sur ce thème, apprécier l’état de l’activité revendicative en la matière, et voir si au-delà des syndicats, des organisations constituées dans l’entreprise, le militantisme féministe s’organise pour combattre les inégalités sociales, mais aussi le harcèlement moral ou sexuel, prégnant dans l’industrie.

 

Hugo* est délégué syndical dans une entreprise où la plupart des secteurs d’activités est représenté (tertiaire, technique, logistique, ingénierie). Il nous explique que chaque année le rapport de situation comparée (RSC) est bien débattu en comité d’entreprise (CE). Ce rapport, obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, doit contenir des indicateurs permettant de mesurer les inégalités entre les hommes et les femmes, pour y remédier. Une commission égalité professionnelle a été mise en place également. Elle a en charge de se réunir une à deux fois par an pour examiner l’état d’avancement des actions arrêtées dans l’organisme. Néanmoins ce processus n’est pas véritablement adapté et n’engendre pas les résultats escomptés. Les raisons essentielles sont que les rubriques obligatoires contenues dans le RSC ne permettent pas véritablement une analyse suffisamment fine et changent souvent, au gré de l’évolution des textes. Une bonne façon de noyer le poisson ! Ensuite, les patrons n’ont cure de ce sujet, et, s’ils s’astreignent à en discuter, ils sont bien loin d’en faire une priorité. D’ailleurs dans nombre d’entreprises le RSC n’est même pas présenté à l’ordre du jour du CE, ce qui en dit long sur les largesses que s’octroie le patronat vis-à-vis de la loi. Gageons que les ordonnances macroniennes vont les conforter dans cette posture. Quant à l’activité revendicative sur ce sujet, Hugo nous explique que « les organisations de salariés demeurent quelque peu laxistes en ce domaine, et elles ne font pas de la question de l’égalité femmes-hommes un sujet essentiel de leur activité. C’est un petit coup de zoom annuel lors de la présentation du RSC en CE puis on passe à autre chose, le quotidien reprend ses droits. J’espère que les affaires de ces derniers mois, leur résonnance médiatique, qui pointe avec acuité les inégalités au travail entre les hommes et les femmes, les questions de harcèlement moral et sexuel, vont pouvoir déboucher sur des actions concrètes, resensibiliser et mobiliser tous les acteurs susceptibles de faire avancer les choses dans le bon sens ».

Frustration a pu consulter le RSC 2016 de l’établissement (secteur de l’énergie) – qui se dit très vertueux en ce domaine – dans lequel travaille Hugo.

Nous avons parcouru ce document correspondant à l’examen de la situation de l’entreprise pour l’année 2016, présenté lors de la séance de l’organisme qui s’est tenue en mai 2017. Nous en avons ressorti quelques éléments significatifs (voir ci-après) attestant du long chemin restant à parcourir afin ne serait-ce que d’approcher les déclarations d’intention contenues dans les lois qui ont été votées jusqu’en 2015.

Pour les représentants du personnel de l’organisme (au nombre de sept dans une entreprise de moins de 999 salariés), il y a encore trop de sexisme dans l’établissement et les derniers plans d’action locaux mis en œuvre unilatéralement par la direction ne répondent pas à ce problème culturel et professionnel. Un travail en profondeur et une plus grande pugnacité dans l’action sont seuls à même de faire évoluer les choses dans le bon sens.

  • Dans cette entreprise de 809 salariés, la répartition globale des effectifs est de 673hommes et 136  Soit un rapport de 83,2 % pour 16,8 %.
  • Seulement 13% de femmes travaillent dans le domaine technique alors que le rapport hommes-femmes intégrant les filières technologiques au lycée et dans l’enseignement supérieur tend à se réduire considérablement ces 20 dernières années.
  • On trouve 11,9% de femmes dans le collège exécution (ouvriers/employés), 15,4% en maîtrise (techniciens/agents de maîtrise), et 19,7% chez les cadres. Dans le comité de direction (cadres supérieurs dirigeants), composé de 10 personnes, seules 2 femmes sont présentes.
  • Sur les 40 embauches réalisées en 2016, seules cinq femmes ont été recrutées, dont une en exécution, trois en maîtrise et une chez les cadres.
  • Les écarts de rémunération moyenne femmes-hommes par position d’emploi sont de 18,8% dans le collège exécution, de 13,6 % en maîtrise et de 23,1 % chez les cadres. Ils ne prennent d’ailleurs pas en compte le temps passé pour accéder à un poste supérieur dans la même position d’emploi, qui est nettement plus long pour une femme que pour un homme, et en cela accentue considérablement ces différences.
  • Suite à l’avis négatif des délégations du personnel sur ce RSC 2016, la direction a rappelé avoir organisé en 2016 une journée de la diversité sensorielle, écrit un article sur le sexisme ordinaire dans sa feuille de chou, distribué un kit de communication sur le sexisme aux managers du site, et qu’elle s’attache à vérifier les taux de féminisation dans les différents collèges et filières. Avec le résultat développé ci-dessus. L’inégalité entre les hommes et les femmes a encore de beaux jours devant elle.

Stéphanie* est téléopératrice dans un centre d’appel. Titulaire d’un BTS management des unités commerciales, cela fait deux ans qu’elle travaille dans l’entreprise. Il est 20 h 30, à l’issue de sa journée de travail, nous la rencontrons afin d’échanger avec elle sur la situation dans son entreprise en termes d’égalité professionnelle, de relations avec le management, ainsi qu’avec ses collègues masculins. Elle nous explique que son centre, « qui compte 49 salariés, managers compris, [juste en-dessous du seuil imposant la constitution d’un CE], est une structure déjà ancienne, où la confiance envers le salarié est minimale, la surveillance stricte, et la reconnaissance des compétences quasiment inexistante. L’ensemble de l’équipe d’encadrement est masculin, tandis que le pool d’opérateurs est presque uniquement féminin. Les conditions de travail sont dures, tant du fait de l’intensité, de la recherche permanente d’atteindre les objectifs, des horaires (9 h/12 h -14 h/20 h), de la pression et de la surveillance hiérarchique, de la composante émotionnelle spécifique à cette activité. Beaucoup de salariés ne restent pas longtemps dans l’entreprise, et il y a un turn-over important ». Stéphanie nous explique qu’en matière d’égalité salariale (salaire de base), « il n’y a pas de différences entre les opérateurs. Nous sommes tous au SMIC. Par contre, au niveau de la prime d’objectif, on s’aperçoit que souvent ce sont les opérateurs qui en bénéficient. À croire que les hommes sont invariablement plus performants que les femmes dans notre secteur d’activité ! En tout cas, on nous le fait comprendre. Nous faisons souvent l’objet de remarques sexistes, déplacées, de la plupart des managers. Il y a quelques mois, une de mes collègues s’est rebellée et a été victime d’un véritable harcèlement dans les jours qui ont suivi. Elle n’a pas supporté et a fini par démissionner. Personne n’a rien dit. On se protège par le chacun pour soi, on tente de résister seule parce que le boulot ne court pas les rues ici. Pourtant, j’espère en trouver un nouveau rapidement. Y compris dans d’autres domaines que le commercial. Je suis prête à changer d’activité, partir de mon open space. Même si je sais, que, quel que soit le secteur, l’amélioration des conditions de travail et la place des femmes dans l’entreprise restent encore à gagner. »

Dans tous les cas, ce ne sont pas les recommandations contenues dans le guide sur l’égalité de Schiappa et Pénicaud – Tiens, encore elle ! – présenté en octobre dernier devant le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) qui vont fondamentalement changer les choses. Comme le stipule François Clerc, spécialiste des discriminations à la CGT et membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) jusqu’en 2015, dans un article de L’Express Entreprises d’octobre 2017, « ce n’est qu’un prêchi-prêcha à destination des employeurs. Il est certes utile de rappeler aux gens qu’il faut être du côté des gentils, mais si on n’y ajoute pas un peu de coercition et de vrais outils de dialogue, ça ne marchera jamais. » La coercition ou la menace ne figurent pas au centre de ce guide, qui rappelle les « bonnes pratiques » et renvoie à la bonne volonté des employeurs. Les références à la loi sont d’ailleurs reléguées en fin de guide, pour ne pas effrayer. « C’est tout à la fin, comme une photo cochonne qu’il ne faudrait pas regarder. On sent clairement qu’il n’est absolument pas question de traumatiser les employeurs. »

 

* Les prénoms ont été changés